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Channel: La face cachée de l'étoile jaune
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"Le Fils de Saul" : la dignité humaine contre la barbarie

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Géza Rörig interprète le rôle de Saul Ausländer dans "Le Fils de Saul" du hongrois László Nemes
Allez voir « Le Fils de Saul », du hongrois László Nemes, grand prix du jury à Cannes !
Ce film - qui atomise au passage les partisans du « détail » - oppose la barbarie mortifère à l’humanité d’un père.
Auschwitz, été 1944 : 12.000 Juifs, hommes, femmes et enfants sont assassinés chaque jour...
Saul Ausländer - interprété par Géza Rörig - est membre du Sonderkommando qui participe à l’extermination massive : forcer les déportés à se déshabiller, les pousser vers la « douche » des chambres à gaz, avec la fausse promesse d’un thé chaud et d’un travail, puis une fois gazés, déverser les monceaux de cadavres dans les fours crématoires...
Saul croit reconnaître son fils qui, au sortir de la chambre à gaz respire encore malgré le Zyklon B. Un allemand l’étouffera avec ses mains...
Saul n’aura plus alors qu’une seule idée en tête : lui éviter le four pour l’enterrer dignement avec le kaddish d’un rabbin. Un projet individuel complètement fou alors que le commando prépare une révolte collective.
Nemes ne cherche pas à montrer l’inmontrable crime de la Shoah.
Caméra aimantée au personnage, arrière-plans flous empêchant toute impudeur. L’horreur n’est que suggérée, l’image incomplète renforcée par les sons, les cris des victimes, le tambourinement des mains affolées contre les portes, les vocifèrements nazis. On imagine l’odeur, on assiste à peine à l’horreur...
Le prochain convoi arrive déjà, il faut nettoyer et quand les crématoires saturent, les fosses se remplissent, une balle dans la tête pour accélérer le mouvement.
Saul réussira à cacher son fils avec la complicité du médecin du camp, part à la recherche d’un rabbin, en trouve un qui meurt, croit en trouver un second…
Saul portera le cadavre de son fils mais l’histoire trébuche dans la course vers la liberté. Pas de « happy end » ?
En fait, « Le fils de Saul » magnifie la dignité humaine, une bouée fragile dans l’océan de la mort. Les morts-vivants ont su résister !
Un message universel tellement vrai dans le contexte actuel, qu'il s'agisse du réchauffement climatique ou des fous de DAESH...

L'étoile de la baronne Girot de Langlade : une erreur historique à corriger

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Dans la nouvelle édition de "Vichy et les Juifs", parue en octobre 2015 chez Calmann-Lévy, les historiens américains Michaël R. Marrus et Robert O. Paxton, reproduisent à nouveau une erreur historique, concernant l'exemption d'étoile jaune de Mme Girot de Langlade, née Stern.

 

En un peu plus de trente ans, "Vichy et les Juifs" est devenu un incontestable ouvrage de référence, abondamment cité et reproduit. 
Inévitablement, cette "Bible" contient des erreurs qui n'enlèvent rien à sa pertinence générale. Une somme de recherches éclairant d'un jour nouveau le rôle de Vichy dans le processus nazi de la "Solution finale". 
Mais la finalité de la recherche historique ne vise-t-elle pas à corriger les incertitudes, à éclaircir les zones d'ombre ?
S'agissant du cas précis de Mme Girot de Langlade, nous allons tenter de démontrer comment une approximation d'historiens est devenue au fil du temps, une véritable erreur historique qui mérite d'être corrigée.

A la page 344 de leur nouvelle livraison, Marrus et Paxton indiquent que le maréchal Pétain "souhaitait des dérogations pour trois femmes : la comtesse d'Aramon, la marquise de Chasseloup-Laubat et sa soeur, Mme Pierre Girot de Langlade ". 
Toutes trois sont des amies du couple Pétain.

La première est la fille du banquier Edgar-Salomon Stern et l'épouse de Bertrand Sauvan d'Aramon. Ce député de Paris vota les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940. 
Les deux suivantes sont les filles du banquier Louis Stern.
La référence citée est double : la lettre du 3 juillet 1942 de Bernard Ménétrel, secrétaire particulier de Pétain (Archives Nationales F60 1 485) et l'ouvrage référence "L'Etoile Jaune" de l'historien Léon Poliakov, paru en 1949 et réédité en 1999 (page 62). 
Page 345, les historiens soulignent : "Les Allemands considérèrent avec froideur ces requêtes ainsi que plusieurs autres. Ils accordèrent une poignée d'exemptions provisoires (parmi lesquelles les trois amies de Pétain, Mme de Brinon et la veuve d'Henri Bergson), mais refusèrent en général d'accueillir favorablement de telles demandes ".
En dépit des très nombreux enrichissements apportés à leur nouvelle édition, Marrus et Paxton n'ont rien rajouté au chapitre des exemptions. Les passages concernés de la première édition de "Vichy et les Juifs", parue en 1981, sont reproduits à l'identique.

Ménétrel, dans sa lettre, transmettra effectivement à de Brinon deux demandes précises en faveur des filles du baron Stern.
Il écrit : "Le Maréchal a été heureux de savoir que sa demande avait été prise en considération et il a été sensible à la réponse qui lui a été faite.
Vous voudrez bien, je vous prie, en son nom remercier les Autorités Allemandes de leur compréhension.
Vous pourrez faire savoir que les dérogations ne peuvent être, dans l'esprit du Maréchal, que tout à fait individuelles et qu'elles ne seront dictées que par des considérations d'ordre familial.
Ainsi que vous me l'avez demandé, voici quelques renseignements concernant les deux demandes qui ont été formulées verbalement pour :
1) Mme de Chasseloup-Laubat,
2) Mme de Langlade, née Lucie Stern, soeur de la Marquise de Chasseloup-Laubat.
(...)
Je pense qu'à ces demandes pourrait être jointe celle de Mme la Générale Billotte, dont je vous avais adressé la lettre reçue par le Maréchal, ainsi que copie de la réponse que je lui ai faite " (NDLR : née Catherine Nathan (1883-1965), fille de Ezra Nathan et Rebecca Finkelstein, la générale Billotte n'obtiendra pas d'exemption)


Léon Poliakov, premier historien à avoir travaillé sur le fonds d'archives de la Gestapo - conservé au Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) du Mémorial de la Shoah -, se voulait prudent.
Dans "L'Etoile Jaune", il cite seulement  deux exemptions : la comtesse d'Aramon, la marquise de Chasseloup-Laubat et "un troisième cas que nous n'avons pas pu identifier ". Une inconnue qui perdurera.

En 1979, le journaliste-historien Henri Amouroux, dans " La vie des français sous l'Occupation " (Fayard), pages 382 et 383, confirme ce doute et se limite à nommer deux cas sur trois  : "Avec Mme de Brinon sont également exemptées trois personnes (dont la comtesse d'Aramon et la marquise de Chasseloup-Laubat), en faveur desquelles le maréchal Pétain est intervenu le 12 juin 1942 ".


En 1985, l'historien Maurice Rajsfus dans "La police de Vichy" (Le Cherche Midi), au chapitre de la police française et l'étoile jaune, parle "d'un certain nombre de dérogations au port de l'étoile jaune" et cite (page 109) celle accordée à Mme de Brinon, à la comtesse d'Aramon et à la marquise de Chasseloup-Laubat, en citant les sources documentaires respectives (CDJC-XXVa 174 et 175). 
Mais en 2002, dans son livre "Opération Etoile Jaune" (Le Cherche Midi), Maurice Rajsfus introduit nommément une troisième personne : à la page 74, outre les exemptions accordées à Mme de Brinon, la comtesse d'Aramon, et la marquise de Chasseloup-Laubat, il rajoute Mme Pierre Girot de Langlade, déjà citée en 1981 par Marrus et Paxton.
Sa source mentionne une série de documents du CDJC sur les exemptions, des cotes XXVa-164 à 206.
Le premier document
est la note du 25 août 1942, signée Röthke (l'adjoint de Dannecker, chef à Paris, de la section IV J de la Gestapo), qui fait état de 26 exemptions.
Outre Mme de Brinon, citée en premier, est indiqué sans précision nominative "trois exemptions sollicitées par le maréchal Pétain ".
Le dernier document (CDJC-XXVa-206a) date du 1er juin 1943. A la lettre signée par Hagen, chef d'état major de la SS, adressé à Fernand de Brinon, l'ambassadeur de Vichy à Paris, sont joints les trois certificats de Mme de Brinon, de la marquise de Chasseloup-Laubat et de la comtesse d'Aramon. Des certificats valables jusqu'au 31 août 1943.
Les autres documents concernent diverses exemptions "pour motifs économiques", "des juifs travaillant avec la police anti-juive", le contre-espionnage, et une série de mesures individuelles.
Concernant la veuve de Bergson - qui d'après Marrus et Paxton bénéficia d'une exemption, il s'agissait d'une proposition, restée sans suite, tout comme pour Maurice Goudeket, le mari de l'écrivain Colette. (document CDJC-XLIXa-91b)

Au final, aucun document du fonds de la Gestapo, ne contient l'exemption prévue pour Mme Girot de Langlade. 

Bernard de Langlade :
" les historiens ont
recopié l'erreur "

Transformé en hôpital militaire en 1914, le château de Cuts a été incendié en 1917. Il sera reconstruit en 1926
Le maréchal Pétain connaissait bien la baronne Girot de Langlade, qui l'invitait aux chasses organisées au château de Cuts, dans l'Oise. Un département qui n'avait pas de secret pour Pétain qui y installa son quartier général en 1916 à Noailles, et le Grand Quartier Général à Compiègne d'avril 1917 à mars 1918. Le château, transformé en hôpital militaire en 1914,brûla pendant la guerre, en 1917
Pétain fréquentait aussi le domicile parisien de la famille, 10 rue Léonard-de-Vinci, dans le 16e arrondissement.
Lorsque le 16 mai 1940, Pétain, ambassadeur de France en Espagne, rentre à Paris à la demande du président du conseil Paul Reynaud, il voyage dans le même train que Mme de Langlade, qui se trouvait alors en villégiature à Biarritz.
Courrier de l'Oise du 19 juin 1927
Pétain fut également le témoin de mariage de Yolande de Chasseloup-Laubat, fille de la marquise, mariée le 8 juin 1927 à Fernand de Seroux. (lire ci-contre la coupure de presse)
Lucie Ernesta Henriette Stern, née à Paris le 20 octobre 1882, s'était convertie au catholicisme en 1911, sept ans après son mariage, le 9 avril 1904, avec le baron Pierre Girot de Langlade (1869-1931), dont elle aura un fils, Louis, en 1905.
Présidente de la Croix-Rouge de l'Oise, membre de plusieurs oeuvres sociales, elle monta même un dispensaire.
Mme Girot de Langlade était une habituée des salons de la préfecture, et se croyait à l'abri du danger.
Son petit-fils, Bernard, 77 ans, se souvient très bien de l'avoir vue arborant son étoile : 
"Tout le monde lui avait dit de partir mais elle ne voyait aucune raison de le faire. Le matin de son arrestation, nous avions fait une promenade ensemble. J'avais alors six ans." 
A propos de son exemption d'étoile, il estime que les historiens" n'ont fait que recopier une erreur historique. Elle a aussi été entretenue en 2005, par le roman "Lutétia", de Pierre Assouline. J'ai écrit à Robert Paxton pour lui dire que ma grand-mère n'a jamais bénéficié d'exemption d'étoile. Il s'est déclaré "ennuyé" dans sa réponse, mais l'erreur a été reproduite à nouveau "(NDLR : "Lutétia", p. 266, éditions Gallimard).

L'arrestation 

Le 3 janvier 1944, à l'heure du repas, des allemands se présentent au château de Cuts. 
Bernard de Langlade se souvient : "J'étais avec mes trois frères et ma mère. Quand elle s'est levée, ils lui ont dit : ce n'est pas vous ! Elle les a conduits à ma grand-mère qui habitait à trois cents mètres. On lui demanda de rassembler des affaires". 
Mme Girot de Langlade monta à bord d'un camion bâché, qui n'était pas gardé. Elle sera dirigée sur Noyon.
" Elle n'avait pas conscience de ce qui se passait et pensait qu'il s'agissait d'une simple vérification d'identité " estime Bernard de Langlade.
Le 4 janvier, elle passa la nuit à Royallieu avant d'être transférée à Drancy, le lendemain.
Le reçu administratif du camp, signé du chef de la police, porte le matricule 10757 et la baronne déposa la somme de 4.025 F.

Girot au lieu de Langlade

Malgré les réclamations de sa famille pendant la quinzaine de jours qui sépareront son arrestation de sa déportation, et des renseignements transmis par une infirmière de la Croix-Rouge, la baronne ne sera pas libérée. 
Aujourd'hui encore, sa famille estime que ce refus est lié à une confusion de nom. 
Enregistrée sous le simple patronyme Langlade, les démarches concernaient une dame...Girot.
Le 20 janvier 1944, elle fera partie du convoi n°66 pour Auschwitz où se trouvait aussi la soeur de Max Jacob, Myrté-Léa, le champion olympique de natation Albert Nakache, sa femme Paule et sa fille Annie, les parents du résistant Raymond Aubrac.

Madame Girot de Langlade périra dans la chambre à gaz le 24 janvier 1944.
Un certificat, établi le 25 juillet 1945, par le bureau des fichiers des déportés politiques stipule bien Madame de Langlade, née Stern, " n'est pas rentrée " de déportation...
Un autre certificat, du Ministère des anciens combattants et victimes de guerre, établi au nom de Madame Girot de Langlade, confirme sa "présomption de décès". 
Soixante et onze ans après les faits, son petit-fils tente une explication à l'arrestation de sa grand-mère : "Sa soeur, la marquise de Chasseloup-Laubat n'a pas été inquiétée. Les allemands ont profité du fait que ma grand-mère était veuve depuis 1931. Elle était plus vulnérable ".  

Thierry Noël-Guitelman

Serge Klarsfeld : L'avenir de la mémoire est garanti mais il faut s'engager

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Serge Klarsfeld était l'invité du Musée de la Résistance et de la Déportation de Haute-Garonne, le 23 février 2016.
Serge Klarsfeld : " Il faut s'engager "
Militant de la mémoire de la Shoah, Serge Klarsfeld est venu présenter à Toulouse, dans l'hémicycle du conseil départemental, son dernier ouvrage, "Mémoires", co-écrit avec son épouse Beate (Fayard-Flammarion, 2015).
A ses côtés, symboles de la poursuite du travail de mémoire, les jeunes historiens Alexandre Doulut et Sandrine Labeau, pour " 1945, les rescapés Juifs d'Auschwitz témoignent " (Après l'oubli - FFDJF, 2015). Le débat était animé par Hubert Strouk, coordinateur régional du Mémorial de la Shoah et Guillaume Agullo, directeur du Musée départemental de la Résistance et de la Déportation.
Celui qui, depuis son mariage en 1963 avec Beate Klarsfeld, s'est engagé dans ce combat sans relâche pour ne pas oublier, garde le cap, renforcé dans ses convictions par la progression de l'antisémitisme, du terrorisme et le fondamentalisme islamiste.
"La Shoah continuera d'interpeller nos sociétés occidentales pendant très longtemps" a déclaré l'historien-avocat qui rappela son parcours.
Né en 1935 en Roumanie, celui qui échappa à la Gestapo en 1943, à Nice, a vu son père déporté vers Auschwitz. Sa rencontre avec la fille d'un ancien officier de la Wermacht, a permis d'unir leur destin, pour comprendre et dénoncer ce qui allait devenir la plus grande tragédie du vingtième siècle.
" Nous avons été plongés dans l'exceptionnalité. On peut s'engager et agir sur l'Histoire " a souligné Serge Klarsfeld en rappelant l'épisode de la gifle donnée par Beate, en 1968, au chancelier allemand, ex-nazi, Kurt Kiesinger. Un acte militant fondateur qui a permis de réveiller les consciences, des deux côtés du Rhin et bien au delà.
S'engagea alors une action de longue haleine pour retrouver les anciens criminels nazis et les faire juger. " Notre premier combat a été d'épurer la société allemande. Puis, ce fut Vichy et c'est à Toulouse, en février 1973, que Beate, revenant de Bolivie, sur les traces de Klaus Barbie, rappela le rôle joué en France par René Bousquet, qui a sévi ici."(voir NDLR)
Serge Klarsfeld rappela également les actions menées contre Paul Touvier, seul français condamné pour crimes contre l'humanité en 1994 (grâcié en 1971 par le président Pompidou), et Maurice Papon, ancien secrétaire général de la préfecture de Bordeaux, devenu ministre, condamné à dix ans de réclusion criminelle en 1998.

Les menaces existent...

De l'association des Fils et Filles de déportés juifs de France, créée en 1979, à la parution des Mémorials de la Shoah en 1978 et 2012, Serge et Beate Klarsfeld n'ont jamais baissé les bras.
Ils poursuivent leur combat, passant le relais à la nouvelle génération.
Serge Klarsfeld a d'ailleurs co-signé le livre "1945, les rescapés Juifs d'Auschwitz témoignent", rappelant qu'il confia ses archives à Alexandre Doulut qui décrypta les auditions faites après guerre par le ministère des Anciens Combattants.
Il salua fraternellement la Toulousaine Marise Crémieux-Hurstel, 88 ans, auteur de " Journal d'une adolescente juive sous Vichy " (Privat, 2016), écrit à l'initiative de sa belle-fille Nicole Zimermann, journaliste. Avec émotion elle lui a remis le manuscrit original de ses carnets de jeunesse qui ira rejoindre le Mémorial de la Shoah à Paris. Une transmission effectuée en présence de Jacques Fredj, qui dirige l'institution.
La parole longtemps enfouie, que la société française ne voulait pas entendre, est désormais protégée...
Pour l'avenir, malgré l'inéluctable disparition des derniers témoins, Serge Klarsfeld reste confiant en dépit du contexte actuel : "il a fallu une bonne trentaine d'années pour se rendre compte du crime commis. Avec les historiens, l'avenir de la mémoire est garanti. Mais devant la montée des extrêmes et l'antisémitisme, l'avenir politique n'est pas garanti. Les menaces existent toujours et c'est pourquoi il faut s'engager" a-t-il conclu.

Thierry Noël-Guitelman

NDLR : L'organisateur de la rafle du Vel d'Hiv, secrétaire général de la police de Vichy, proche de François Mitterrand, réussit à échapper à l'épuration malgré sa comparution devant la Haute Cour de Justice qui l'acquitta. Radié de la fonction publique il fit partie du conseil d'administration du journal régional La Dépêche de 1959 à 1971. En 1991, il est inculpé de crimes contre l'humanité mais il sera assassiné de cinq balles de révolver à son domicile parisien).

Dédicace de Serge Klarsfeld à un rescapé du camp de Dora


Sandrine Labeau
Alexandre Doulut
Mme Crémieux-Hurstel


L'hommage de l'Académie des César à Nita Raya

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Nita Raya est apparue sur l'écran des César (capture d'écran Canal Plus)
Vendredi 26 février, l'Academie des César a rendu hommage aux nombreux disparus de l'année.
L'actrice Nita Raya, décédée le 25 mars 2015 à 99 ans, est apparue en photo.
On peut la voir sur le site de Canal plus, dans l'intégrale de la cérémonie en pointant sur 1 h 25'25".

Merci à Elodie Saura qui, mi-janvier, m'a demandé pour l'Academie, une photo de celle qui fut la compagne de Maurice Chevalier (le roi du music hall la protégea durant la Seconde guerre mondiale).
Ne disposant pas de documents originaux, je l'ai mise en contact avec son petit-fils Grégoire Akcelrod.
Nita Raya, d'origine juive roumaine- était née Raya Jerkovitch.

Danseuse, chanteuse, meneuse de revue, elle participa à de nombreux films de 1934 à 1954 et tourna pour les plus grands cinéastes de l'époque comme Christian-Jaque, Abel Gance, Maurice Gleize, Pierre Colombier, Marcel L'Herbier, Maurice Dekobra.

Cet ultime hommage de la profession répare un oubli de plus de soixante ans !





Pour en savoir plus sur Nita Raya :

Hélène Berr : "Je considérais cela comme une infamie"

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Hélène Berr raconte son attitude face à l'étoile jaune dans son exceptionnel journal

Hélène Berr (1921-1945), jeune juive française, a tenu son journal du 7 avril 1942 jusqu’au 15 février 1944 à Drancy, où elle raconte sa vie quotidienne.

Alors qu’elle préparait l’agrégation d’anglais, les lois antisémites du régime de Vichy l’obligent à abandonner ses études et elle devient assistante sociale bénévole à l’Union générale des israélites de France à partir du 6 juillet 1942.

Arrêtée chez elle le 8 mars 1944, elle sera déportée à Auschwitz par le convoi n° 70, avec ses parents, le 27 mars 1944, le jour de ses 23 ans.

Son père, Raymond, polytechnicien, ingénieur des Mines, était vice-président de la société Kuhlmann.Envoyée au camp de Bergen-Belsen, elle ne se lève pas, un matin, à l'heure de l’appel. Elle sera battue à mort  le 10 avril 1945, quelques jours avant la libération du camp par l’armée britannique.

Son journal sera publié pour la première fois en 2008 aux éditions Taillandier par sa nièce Mariette Job et sera préfacé par l’écrivain Patrick Modiano, prix Goncourt 1978 et prix Nobel de littérature 2014.

Le 1er juin 1942, la mère d’Hélène lui annonce «la nouvelle de l’étoile jaune».

Voici sa réaction : 

« Chez Mme Jourdan, j’ai rencontré (…) avec qui nous avons discuté de la question de l’insigne (l’étoile jaune). A ce moment-là, j’étais décidée à ne pas le porter. Je considérais cela comme une infamie et une preuve d’obéissance aux lois allemandes.
Ce soir, tout a changé à nouveau : je trouve que c’est une lâcheté de ne pas le faire, vis-à-vis de ceux qui le feront.
Seulement, si je le porte, je veux toujours être très élégante et très digne, pour que les gens voient ce que c’est. Je veux faire la chose la plus courageuse. Ce soir, je crois que c’est de le porter. » 

Au soir du lundi 8 juin, journée où Hélène Berr porte l'étoile pour la première fois, fixée à sa boutonnière par un bouquet tricolore, elle note dans son journal :
" Mon Dieu, je ne croyais pas que ce serait si dur. J'ai eu beaucoup de courage toute la journée. J'ai porté la tête haute, et j'ai si bien regardé les gens en face qu'ils détournaient les yeux. Mais c'est dur. D'ailleurs, la majorité des gens ne regarde pas. Le plus pénible, c'est de rencontrer d'autres gens qui l'ont. Ce matin, je suis partie avec Maman. Deux gosses dans la rue nous ont montrées du doigt en disant : « Hein ? T'as vu ? Juif. » Mais le reste s'est passé normalement. Place de la Madeleine, nous avons rencontré M. Simon, qui s'est arrêté et est descendu de bicyclette. J'ai repris toute seule le métro jusqu'à l'Etoile. A l'Etoile, je suis allée à l'Artisanat chercher ma blouse, puis j'ai repris le 92. Un jeune homme et une jeune fille attendaient, j'ai vu la jeune fille me montrer à son compagnon. Puis ils ont parlé.
Instinctivement, j'ai relevé la tête-en plein soleil-, j'ai entendu : "C'est écoeurant." Dans l'autobus, il y avait une femme, une maid [domestique] probablement, qui m'avait déjà souri avant de monter et qui s'est retournée plusieurs fois pour sourire ; un monsieur chic me fixait : je ne pouvais pas deviner le sens de ce regard, mais je l'ai regardé fixement. 
Je suis repartie pour la Sorbonne ; dans le métro, encore une femme du peuple m'a souri. Cela a fait jaillir les larmes à mes yeux, je ne sais pourquoi. Au Quartier latin, il n'y avait pas grand monde. Je n'ai rien eu à faire à la bibliothèque. Jusqu'à quatre heures, j'ai traîné, j'ai rêvé, dans la fraîcheur de la salle, où les stores baissés laissaient pénétrer une lumière ocrée. A quatre heures, J. M. [Jean Morawiecki] est entré. C'était un soulagement de lui parler. Il s'est assis devant le pupitre et est resté là jusqu'au bout, à bavarder, et même sans rien dire. Il est parti une demi-heure chercher des billets pour le concert de mercredi ; Nicole est arrivée entre-temps.
Quand tout le monde a eu quitté la bibliothèque, j'ai sorti ma veste et je lui ai montré l'étoile. Mais je ne pouvais pas le regarder en face, je l'ai ôtée et j'ai mis le bouquet tricolore qui la fixait à ma boutonnière. Lorsque j'ai levé les yeux, j'ai vu qu'il avait été frappé en plein coeur. Je suis sûre qu'il ne se doutait de rien. Je craignais que toute notre amitié ne fût soudain brisée, amoindrie par cela. Mais après, nous avons marché jusqu'à Sèvres-Babylone, il a été très gentil. Je me demande ce qu'il pensait. [...]
Mardi 9 juin 
Aujourd'hui, cela a été encore pire qu'hier.
Je suis éreintée comme si j'avais fait une promenade de cinq kilomètres. J'ai la figure tendue par l'effort que j'ai fait tout le temps pour retenir des larmes qui jaillissaient je ne sais pourquoi.
Ce matin, j'étais restée à la maison, à travailler du violon. Dans Mozart, j'avais tout oublié.
Mais cet après-midi tout a recommencé, je devais aller chercher Vivi Lafon à la sortie de l'agreg [l'agrégation d'anglais] à deux heures. Je ne voulais pas porter l'étoile, mais j'ai fini par le faire, trouvant lâche ma résistance. Il y a eu d'abord deux petites filles avenue de La Bourdonnais qui m'ont montrée du doigt. Puis, au métro à l'Ecole-Militaire (quand je suis descendue, une dame m'a dit : « Bonjour, mademoiselle »), le contrôleur m'a dit : « Dernière voiture. » Alors, c'était vrai le bruit qui avait couru hier. Cela a été comme la brusque réalisation d'un mauvais rêve. Le métro arrivait, je suis montée dans la première voiture. Au changement, j'ai pris la dernière. Il n'y avait pas d'insignes. Mais rétrospectivement, des larmes de douleur et de révolte ont jailli à mes yeux, j'étais obligée de fixer quelque chose pour qu'elles rentrent.
Je suis arrivée dans la grande cour de la Sorbonne à deux heures tapantes, j'ai cru apercevoir Molinié au milieu, mais, n'étant pas sûre, je me suis dirigée vers le hall au bas de la bibliothèque. C'était lui, car il est venu me rejoindre. Il m'a parlé très gentiment, mais son regard se détournait de mon étoile. Quand il me regardait, c'était au-dessus de ce niveau, et nos yeux semblaient dire : « N'y faites pas attention. » Il venait de passer sa seconde épreuve de philo.
Puis il m'a quittée et je suis allée au bas de l'escalier. Les étudiants flânaient, attendaient, quelques-uns me regardaient. Bientôt, Vivi Lafon est descendue, une de ses amies est arrivée et nous sommes sorties au soleil. Nous parlions de l'examen, mais je sentais que toutes les pensées roulaient sur cet insigne. Lorsqu'elle a pu me parler seule, elle m'a demandé si je ne craignais pas qu'on m'arrache mon bouquet tricolore, et ensuite elle m'a dit : « Je ne peux pas voir les gens avec ça. » Je sais bien ; cela blesse les autres. Mais s'ils savaient, eux, quelle crucifixion c'est pour moi. J'ai souffert, là, dans cette cour ensoleillée de la Sorbonne, au milieu de tous les camarades. Il me semblait brusquement que je n'étais plus moi-même, que tout était changé, que j'étais devenue étrangère, comme si j'étais en plein dans un cauchemar. Je voyais autour de moi des figures connues, mais je sentais leur peine et leur stupeur à tous. C'était comme si j'avais eu une marque au fer rouge sur le front. [...]
Visite au père d'Hélène, en partance pour Drancy 
Vice-président de l'entreprise Kuhlmann, Raymond Berr, père d'Hélène, a été arrêté le 23 juin 1942 sous prétexte que son étoile jaune était agrafée et non cousue. Sa famille obtient de le voir à la préfecture de police avant son départ pour Drancy :
A partir du moment où Papa est entré, il m'a semblé brusquement que l'après-midi se raccrochait automatiquement à ce passé si récent où nous étions tous ensemble, et que tout le reste n'était qu'un cauchemar. Cela a été en quelque sorte une accalmie, une éclaircie avant l'orage. Quand j'y réfléchis maintenant, je m'aperçois que cela a été une bénédiction. Nous avons revu Papa après la première phase de la tragédie, après l'arrestation. Il nous l'a racontée. Nous avons vu son sourire. 
Nous l'avons vu partir avec le sourire. Nous savons tout et j'ai l'impression qu'ainsi nous sommes encore plus unis, qu'il est parti pour Drancy lié encore plus étroitement à nous.
Il est entré avec son sourire radieux, prenant la situation au comique : il était sans cravate, et au début cela m'a donné un choc, on l'avait déjà dénudé en deux heures. Papa sans cravate ; il avait l'air d'un « détenu », déjà. Mais cela a été fugitif. L'un des employés, avec des excuses, lui a dit qu'il allait lui rendre sa cravate, ses bretelles et ses lacets. Tous riaient. L'agent nous expliquait pour nous rassurer que c'était un ordre car hier un détenu avait essayé de se pendre. [...]
Il y avait quelque chose de comique dans cette scène, où le détenu était Papa, où les autorités étaient pleines de respect et de sympathie. On se demandait ce que nous faisions tous là.
Mais c'est parce qu'il n'y avait pas d'Allemands. Le sens plein, le sens sinistre de tout cela ne nous apparaissait pas, parce que nous étions entre Français.
J'oublie de noter les détails donnés par Papa sur son arrestation, c'est tout ce que j'ai su et je n'en saurai pas plus avant de le revoir. Il est en effet allé rue de Greffulhe, et ensuite avenue Foch, où un officier (moi, j'ai compris un soldat) boche s'est jeté sur lui en l'accablant d'injures ( schwein [sale porc], etc.) et lui a arraché son étoile, en disant : « Drancy, Drancy ». C'est tout ce que j'ai entendu. Papa parlait d'une façon assez entrecoupée, à cause de toutes les questions que nous lui posions. 
A un moment, j'ai remarqué une plus grande animation. [...] La porte s'est ouverte, et trois femmes sont entrées, la mère, une grosse blonde vulgaire, la fiancée et une autre qui devait être la soeur, on a introduit le détenu, un jeune homme très brun, qui avait une beauté un peu sauvage, c'était un juif italien, inculpé pour hausse illicite [marché noir], je crois. Ils se sont tous assis sur le banc de bois. A partir de ce moment, il y a eu du tragique dans l'atmosphère. En même temps, nous étions, tous les quatre ensemble, tellement éloignés de ces pauvres gens, que je n'arrivais plus à concevoir que Papa fût arrêté aussi."

29 mai 1942 : mais que s'est-il donc passé ce jour là ?...

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29 mai 1942 - 29 mai 2016 : soixante quatorze ans après, un rappel historique s'impose car la France oublie trop facilement les dates qui dérangent sa conscience. 

Le journal "Le Matin" du 1er juin 1942

Vendredi 29 mai 1942, dimanche 7 juin 1942...
Ces jours terribles comptent parmi les plus humiliants de la Seconde Guerre Mondiale.
La première date correspond à la promulgation, par le Militärbefehlshaber in Frankreich - le commandement militaire allemand - de la 8e ordonnance * . Elle interdisait aux Juifs, français et étrangers de zone occupée, dès l'âge de six ans, de paraître en public sans porter l'étoile jaune. 

Ce signe distinctif reprenait le symbole du judaïsme de l’étoile de David (en hébreu : magen David, bouclier de David), déjà imposé en Pologne au 1er décembre 1939, sous la forme d'un brassard. 
L'étoile à six pointes apparut dès mai 1941 en Croatie, en septembre 1941 en Allemagne et en Roumanie, puis fin avril 1942 aux Pays Bas et le 1er juin en Belgique. 

La seconde date marque l'entrée en vigueur du marquage infâme, avec la contribution active de l'Etat français de Vichy pour la distribution des étoiles dans les commissariats de police, et les sous-préfectures.
Le tampon JUIF : une initiative du gouvernement de Vichy
Imprimées à 400.000 exemplaires, trois étoiles par personne étaient prévues pour 100.455 Juifs (61.684 français et 38.591étrangers).

Si le port de l’étoile jaune n’a pas été étendu à la zone sud après l'invasion allemande du 11 novembre 1942, le gouvernement de Vichy imposa par la loi du 11 décembre 1942, la mention « Juif », tamponnée à l'encre rouge, sur les cartes d’identité et d’alimentation dans toute la zone sud. Un dispositif déjà en vigueur à Paris, suite à une ordonnance du préfet de police du 10 décembre 1941.
"Moi vivant, l'étoile juive ne sera pas portée en zone libre " avait dit Pétain au grand rabbin Isaïe Schwartz. (Témoignage de Paul Estèbe, chef adjoint du cabinet de Pétain à Raymond Tournoux, cité dans "Pétain et la France", Plon 1980, p.305)
Et Laval, dans ses mémoires rédigées dans sa cellule, apportera des précisions sur ce "tampon" : "Je refusai l'obligation que les Allemands et le commissariat général voulaient imposer aux Juifs en zone sud de porter l'étoile jaune. Les Allemands (...) avaient exigé la loi instituant l'obligation de faire figurer le mot "Juif" sur les cartes d'identité et de ravitaillement. (...) Ce fut le moindre mal, car l'insertion sur les cartes ne gênaient pas les Juifs vis-à-vis des autorités françaises. Elle leur permettait d'échapper, comme travailleurs, au départ pour l'Allemagne, car j'ai toujours donné l'instruction de les exclure des départs. Ils furent seulement requis au tout dernier moment pour les chantiers Todt et il y en eut un nombre infime "... 
Laval "oublie" seulement les déportations massives effectuées depuis la zone sud !

Sans état d'âme, en parallèle des législations antisémites allemandes, Vichy instaura par toute une série de lois et décrets l'antisémitisme d'État, avant d'apporter sa contribution active à l'antisémitisme d'extermination.


STRATEGIES DE SURVIE ET REFUS

Dans ce contexte implacable d'élimination des Juifs du paysage français, des stratégies de survie ont vu le jour : refus du recensement, passages clandestins de la ligne de démarcation, placements d'enfants, réseaux de sauvetage et actions individuelles des Justes.
L'étoile jaune, marqueur discriminatoire, deviendra aussi un enjeu de refus :
> Le Pr Robert Debré, qui mène des actions de résistance, sera interrogé par la police en mai 1943. L'inspecteur note dans son rapport que le médecin "s'est présenté à plusieurs reprises dans les bureaux allemands sans porter l'étoile". Relevé de toutes les interdictions du statut des Juifs par décret du 5 janvier 1941, il soigne notamment des enfants d'officiers allemands. "Quoique prétextant que les autorités occupantes ne le considèrent pas comme Juif, le Pr Debré n'en est pas moins recensé à la préfecture de police et ne possède aucune dispense de l'étoile". (CDJC-CCXXXVIII-117)
      > Des avocats et des avoués décidèrent de ne pas porter l'étoile au Palais de justice de Paris. Le bâtonnier Jacques Charpentier profita des vacances judiciaires de juillet à octobre pour faire traîner la situation, suite à la demande du chef du service juif de la SS de Paris transmise au Commissariat Général aux Questions Juives, de lui "signaler les cas d'infractions avec l'adresse des intervenants". (CDJC-XXIII-6, ordre du 15 juillet 1942)


      M. Jacob (1876-1944)

      > Le poète Max Jacob, converti au catholicisme en 1915, qui vit depuis 1936 à l'abbaye de Fleury à Saint-Benoit-sur-Loire (Loiret), écrira dans une lettre : "Deux gendarmes sont venus enquêter sur mon sujet, ou plutôt au sujet de mon etoile jaune. Plusieurs personnes ont eu la charité de me prévenir de cette arrivée soldatesque et j'ai revêtu les insignes nécessaires". Son frère aîné sera déporté à Auschwitz en février 1943 mais Max Jacob refusera les offres de ses amis voulant le faire passer en zone libre ou lui procurer des faux papiers. En janvier 1944, sa soeur sera envoyée à Drancy et Max Jacob sera arrêté le 24 février par la Gestapo. 
      Il mourra épuisé d'une pneumonie à l'infirmerie de Drancy le 6 mars 1944.


        > Des gestes de solidarité apparaîtront lors de l'entrée en vigueur de l'ordonnance allemande : trois jours après l'introduction de l'étoile, la Sipo-SD de Paris relève qu'une quarantaine de personnes ont été arrêtées pour défaut d'étoile, ou pour avoir porté d'autres insignes, des étoiles fantaisistes avec des inscriptions comme "zazou", "swing", "potache", "papou". Juifs et non Juifs ont été envoyés à Drancy ou à la prison des Tourelles pour les femmes. 
        Les jeunes de moins de 18 ans, ont été relâchés après 24 ou 48 h. (CDJC-XLIXa-33) 
        > Un sujet largement développé dans " Amis des Juifs - Les résistants aux étoiles " (Tirésias 2005) de Cédric Gruat et Cécile Leblanc.
          >
          Hélène Berr
          Dans son Journal (Tallandier 2008), Hélène Berr donne un témoignage très éclairant de l'atmosphère qui régnait au lendemain de l'entrée en vigueur de l'ordonnance allemande.


          > Henri Szwarc, dans "Souvenirs : L'étoile jaune", rappelle : "Il n'était pas question de ne pas porter l'étoile, nous étions trop connus dans notre rue et à la merci d'une dénonciation. Nous avons par ailleurs reçu la visite d'un inspecteur chargé de vérifier jusque dans les armoires, que les étoiles étaient bien cousues sur nos vêtements". (Annales. Économies, Sociétés, Civilisations vol. 48, n° 3, 1993, p. 629-633)
          • Des protestations seront lancées par les autorités religieuses 
          > Chez les catholiques, le cardinal Suhard, archevêque de Paris, autorise l'initiative d'un groupe de Jécistes demandant le 7 juin - dimanche de la Fête-Dieu - , de protester à la chaire de l'église de la Sorbonne.  Le chanoine Jean Rupp dira : "Une mesure incompréhensible pour l'âme française et où elle se refuse de se reconnaître, vient d'être prise par les Autorités d'Occupation. L'immense émotion qui étreint le Quartier Latin ne >nous laisse pas insensibles. Nous assurons les victimes de notre affection bouleversée et prions Dieu qu'il leur donne la force de surmonter cette terrible épreuve ".
          A la Sainte Chapelle, au cours de la messe réunissant le barreau parisien des avocats, le prédicateur, suppléant du cardinal, rappelle que "Juifs et chrétiens sont des frères ". (CDJC-XLIXa-94a : rapport d'un indicateur de la Gestapo).

          Dans de nombreuses paroisses d'arrondissement, des prêtres prendront position. (CDJC-XLIXa-92). Même à Vichy, "le RP Victor Dillard, devant ses fidèles de l'église Saint Louis, les invite à prier pour les 80.000 juifs que l'on bafoue en leur faisant porter l'étoile jaune. " (cité par Georges Wellers : Un Juif sous Vichy - Tirésias 1991, page 221)


          Le pasteur Bertrand
          • Chez les protestants, le pasteur André-Numa Bertrand, vice-président du Conseil de la Fédération protestante de France écrit dès le 12 juin au maréchal Pétain afin "de lui exprimer la douloureuse impression éprouvée (...) devant les nouvelles mesures prises par les autorités d'occupation à l'égard des israélites ". (CDJC-CXCV-36_001)
          Dans son sermon du 7 juin, le jour même où l'étoile jaune devait être portée, il déclarait : "Depuis ce matin, nos compatriotes israélites sont assujettis à une législation qui froisse dans leur personne et dans celle de leurs enfants, les principes les plus élémentaires de la dignité humaine ".
          Mandaté par le Conseil de la Fédération protestante de France, le pasteur Marc Boegner, président, remettra personnellement à Pétain, le 27 juin 1942 une lettre, relayée à tous les pasteurs de zone occupée, pour protester contre le port de l'étoile. 
          On y lit : "Ce port d'un insigne distinctif inflige à des Français une humiliation gratuite, en affectant de les mettre à part du reste de la nation (...) Aussi, les Eglises du Christ ne peuvent-elles garder le silence devant des souffrances imméritées ".

          > Un silence surprenant lié à l'isolement de ses dirigeants, repliés à Lyon, confrontés aux contradictions internes de la communauté juive. Une résignation en dépit de la rencontre entre le cardinal Gerlier et le grand rabbin Kaplan, en août 1942, contre les déportations massives des Juifs des camps de zone libre. (lire Sylvie Bernay : L'Eglise de France face à la persécution des Juifs 1940-1944 - CNRS Editions, p. 312 à 364)
          Les dirigeants de l'Union générale des israélites de France appelaient quant à eux à "porter l'insigne dignement et ostensiblement", comme le rappelle Renée Poznanski dans "Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre Mondiale" (Hachette, 2005, page 292 et CDJC-CCXIV-5).
          • En vain, des demandes d'exemption émanant d'associations ou de divers corps constitués : la Fédération des amputés de guerre, l'Ordre des médecins (en faveur de la veuve de Fernand Widal, mort en 1929, qui fut un ami de Pétain), les sapeurs-pompiers de Paris (requête du colonel Simonin, commandant du régiment, refusée par Oberg, chef supérieur de la SS et de la police).

          LES EXEMPTIONS : POUR LES "AMIES JUIVES" 

          DE PETAIN ET LES AUTRES...

          • Les mesures d'exemption prévues par la réglementation seront finalement peu utilisées : 
          "Lors de circonstances spéciales, dans l'intérêt du Reich, des dérogations à l'ordonnance peuvent être prévues dans des cas isolés" précisait le paragraphe 1 des dispositions d'application de l'ordonnance. (CDJC-CDXXVIII-82)
          Une brèche dans laquelle le maréchal Pétain s'engouffrera pour demander quelques exemptions.
          En aucun cas il ne s'agissait de protéger les Juifs français de manière collective, en donnant en échange à l'ennemi les Juifs étrangers - la fameuse théorie du bouclier défendue après guerre par Raymond Aron, et reprise en 2014 par le polémiste Eric Zemmour -. 

          Pétain voulait seulement protéger quelques très rares relations mondaines. Le maréchal en fait la demande dans un courrier adressé le 12 juin 1942 à Fernand de Brinon, son ambassadeur auprès des autorités d'occupation. (AN F60 1485)
          La liste devait être communiquée le 22 juin pour être transmise au chef superieur des SS et de la police. 
          Alors que les allemands misaient sur une centaine de demandes (CDJC-XLIXa-90a), le cabinet de Pétain transmet le 3 juillet, seulement trois demandes d'exemption concernant la marquise Marie-Louise de Chasseloup-Laubat (1879-1964), sa sœur la baronne Lucie-Ernesta Girot de Langlade (1882-1944), filles du banquier Louis Stern, et la générale Billotte, née Catherine Nathan (1883-1965).

          >
          Mme Girot de Langlade devant son château à Cuts (Oise)
          Mme Girot de Langlade n'obtiendra pas l'exemption et sera finalement arrêtée le 3 janvier 1944. Déportée à Auschwitz par le convoi n° 66, elle périra à la chambre à gaz le 24 janvier 1944). 

          (Lire notre étude complète sur ce cas, objet d'erreurs répétées de plusieurs historiens)

          Déjà, 19 juin 1942, le SS-Sturmbannführer Herbert Hagen avait transmis à son commandement les conclusions d'une réunion tenue en présence de l'ambassadeur d'Allemagne Otto Abetz, pour d'autres demandes d'exemption réclamées par Pétain, en faveur de la veuve de Bergson - qui réussira à se réfugier en Suisse avec sa fille Jeanne -, l'écrivain Colette - qui n'était pas juive ! - et le pianiste classique Constantin Konstantinoff, chargé de la programmation musicale de Radio Paris. 
          Aucune décision n'avait alors été prise. (CDJC-XLIXa-91b)

          > Le dispositif dérogatoire de la 8e ordonnance prévoyait aussi l'exemption pour des Juifs étrangers issus des "pays belligérants, alliés et des pays neutres" pour "éviter les représailles contre les ressortissants allemands ainsi que les interventions des pays neutres" précise le 13 mai 1942 Théodor Dannecker, chef de la section IVJ de la Gestapo à Paris. (CDJC-XLIXa-13). 
          Ainsi, 9.837 personnes seront concernées d'après la préfecture de police.
          Les pays concernés sont la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, les états ennemis d'Amérique centrale ou du sud, Italie, Grèce, Turquie, Bulgarie, Suisse, Espagne, Brésil, Canada.

          26 EXEMPTIONS...

          >
          Une note secrète d'Heinz Röthke (CDJC-XXVa-164)
          Le 25 août 1942, une unique note signée Heinz Röthke, chef du service juif de la SS de Paris, dresse une liste de 26 exemptions de l'étoile, accordées à titre provisoire jusqu'au 31 août, avec prolongation possible de trois mois. (CDJC-XXVa-164)
          L'épouse de l'ambassadeur de Brinon, née Jeanne-Louise Franck (1896-1982), y figure en premier. 
          Suivent trois exemptions non nominatives faites à la demande de Pétain. 
          Outre Mme de Chasseloup-Laubat et la générale Billotte - dont l'exemption qui aurait été accordée ne figure pas dans les archives - la comtesse Suzanne Sauvan d'Aramon (1887-1954), épouse du député de Paris Bertrand d'Aramon qui vota les pleins pouvoirs à Pétain, et fille du banquier Edgar Stern, obtient son exemption le 13 juillet 1942. (CDJC-XXVa-172)
          Arrêtée, elle sera internée à Drancy le 25 juin 1944.

          Les exemptions permettront aussi de faciliter la présence allemande sur le sol français :
          Huit exemptions seront accordées pour de "pressants motifs économiques", afin de permettre le travail de cadres Juifs dans des entreprises au service des allemands.
          Sept autres exemptions concernent les services de contre-espionnage.
          Six sont accordées à des Juifs "travaillant avec la police anti-juive", indicateurs, dénonciateurs.
          Une exemption, formulée par le service de renseignements allemand, concerne Josef Hans Lazar, chef de la propagande allemande en Espagne.
          Trois exemptions sont accordées à des marchands d'art Juifs (Allan et Emmanuel Loebl, Hugo Engel) chargés d'alimenter le projet de musée voulu par Hitler à Linz, en Autriche, et les collections pillées par le maréchal Hermann Göring.

          Enfin, quelques très rares exemptions répondront à des demandes individuelles (cas de mariages mixtes, présentation de certificats de non appartenance à la "race juive") avec des appuis au plus haut niveau. 

          >
          Marcel Lattès (1886-1943)
          Lire les cas d'Ida Seurat-Guitelman et du compositeur Marcel Lattès.


          Ida Seurat-Guitelman a pu obtenir une exemption grâce à un courrier adressé avenue Foch, au siège de la Gestapo, par son mari, policier, qui bénéficia du soutien d'Emile Hennequin, le chef de la police parisienne, qui participa de près à la rafle du Vel d'Hiv.

          Marcel Lattès, compositeur de talent, auteur de comédies musicales et de musiques de films, avait été arrêté le 12 décembre 1941 avec d'autres français israélites. Libéré grâce à Sacha Guitry et son frère banquier, son exemption obtenue en mai 1943 lui avait permis de retravailler jusqu'à son arrestation le 15 octobre 1943. Il sera déporté à Auschwitz par le convoi n°64 du 7 décembre 1943.

          En général, la plupart des demandes d'exemption sont refusées, même lorsqu'elles sont transmises par les autorités préfectorales.
          Maurice Papon à la préfecture de Bordeaux entre 1942 et 1944

          > A son procès, en 1998, Maurice Papon, ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde, soutiendra avoir " sauvé des juifs "à l'occasion d'interventions multiples. 
          Il assura que ses services accordèrent 1.182 dérogations au port de l'étoile jaune (951 français et 231 étrangers). Des dérogations au demeurant impossibles puisqu'elles relevaient des seules autorités allemandes.
          Lorsque le procureur général interroge Papon sur l'application de la 8e ordonnance, il répondra : "le premier choc que j'ai eu en arrivant à Bordeaux, ça été l'étoile jaune qui venait d'être distribuée quelques jours avant mon arrivée. J'en ai constaté les effets et j'en ai condamné les méthodes (...) L'étoile jaune c'était en mai. Dès juillet, les allemands exigeaient la livraison d'hommes et de femmes innoçents. "
          Papon (1910-2007) sera condamné à dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l'humanité. Après guerre, il n'avait jamais été inquiété et mena une longue carrière de préfet, en Corse, en Algérie, à Paris comme préfet de police de 1958 à 1967. Il sera impliqué sans suite dans la répression sanglante de la manifestation du 17 octobre 1961 du FLN, puis du 8 février 1962 où neuf manifestants seront tués au métro Charonne.
          Député gaulliste du Cher de 1968 à 1981, ministre du budget de 1978 à 1981, il est rattrapé par son passé en 1981, suite à un article du Canard Enchaîné, mais son procès n'aura lieu qu'après 17 ans de bataille juridique.
          • Jacques-Félix Bussière, préfet du Loir-et-Cher, transmettra le 26 juin 1942 au ministère de l'Intérieur une demande déposée par une commerçante de Romorantin, Alice Houlmann-Lévy, 73 ans, et son employée Claire Kahn, 61 ans. Il lui sera répondu qu'il n'appartient pas au ministère " d'accorder de telles dispenses, ni même de les transmettre aux autorités allemandes ". Les deux femmes, arrêtées pour " action anti-allemande " seront déportées respectivement à Sobibor le 25 mars 1943, et à Auschwitz le 31 juillet 1943.
          • Louis Tuaillon, sous-préfet d'Oloron Sainte-Marie, écrira un courrier courageux au chef de la Sûreté allemande le 29 mai 1943 à propos des juifs évacués de la côte Basque "mis dans l'obligation de porter l'étoile jaune et de se présenter chaque semaine à la mairie ". En l'absence d'instruction il refuse de faire suivre d'effet ces demandes et rappelle qu'aucun texte français n'a imposé l'étoile en zone sud. (archives départementales Pyrenées-Atlantiques SDA 64). Nommé préfet de Lot-et-Garonne, puis à Limoges et Marseille. Arrêté par la Gestapo d'Agen en juin 1944, il sera déporté. Nommé préfet de Moselle en 1945, il meurt à 43 ans en 1947.
          • Colette, mariée depuis 1935 à Maurice Goudeketn'obtiendra pas d'exemption pour son mari. Arrêté en décembre 1941, interné à Drancy puis à Compiègne, il échappa à la déportation grâce aux interventions de Sacha Guitry, Brasillach et Drieu la Rochelle. Libéré le 6 février 1942, il sera caché jusqu'à la Libération. Le 31 mai 1943, Colette avait adressé un courrier au ministre de l'Interieur pour que Goudeket obtienne une dérogation au port de l'étoile mais le Commissariat général aux questions juives lui fait savoir le 19 juin que les autorités allemandes ont répondu "qu'aucune dérogation n'était admise". (CDJC-CXIII-9)
          Nelly Frankfurter avait 17 ans (Archives départementales 37)
          • Nelly Frankfurter, 17 ans, d'origine Polonaise, vit avec sa famille expulsée de Gironde au camp de La Lande, près de Tours. Elle écrivit le 31 mai 1942 une lettre poignante au général-chef de la Kommandantur de Paris. (CDJC-XLIXa-51b). 
          Elle écrivait : "J'ai de la peine à concevoir que je ne pourrai plus me trouver en société sans provoquer chez certains un sentiment d'animosité. J'aime tous les êtres humains sans distinction, et me voir repoussée par ceux que j'aime, surtout par mes camarades de classe, me cause un vif chagrin (...) Je m'adresse donc à votre bonté, à vos sentiments humains qui, j'en suis sûre, sont aussi forts qu'en moi ". En guise de réponse, elle sera arrêtée puis déportée à Auschwitz avec sa mère Alla, 54 ans, par le convoi n°8 du 20 juillet 1942. Son père, Stanislas, 59 ans, directeur commercial à Bordeaux, sera déporté à Auschwitz par le convoi n° 31 du 11 septembre 1942.

            29 mai 1942, 7 juin 1942 : ces deux dates ne peuvent être oubliées !

            Thierry Noël-Guitelman

            * Document consultable sur le site du Mémorial de la Shoah/CDJC

            > Ressources documentaires à consulter :

            France TVéducation : Shoah, le port infamant de l'étoile jaune

            Concours national de la résistance et de la déportation : éphéméride du réseau Canopé


            Mémorial de la Shoah

            D'autres livres incontournables sur le sujet :

            - Serge Klarsfeld : L'étoile des Juifs (L'Archipel 1992)
            - Michaël R. Marrus et Robert O. Paxton : Vichy et les Juifs (Calmann-Lévy 2015)
            - Léon Poliakov : L'étoile jaune - La situation des Juifs en France sous l'Occupation - Les législations nazie et vichyssoise (Grancher 1999)
            - Maurice Rajsfus : Opération étoile jaune (Le Cherche Midi 2002)
            - Bernard Ullmann : Lisette de Brinon, ma mère - Une Juive dans la tourmente de la Collaboration (Complexe 2004)
            - Richard H. Weisberg : Vichy, la Justice et les Juifs (Archives contemporaines 1998)
            Françoise Siefridt : J'ai voulu porter l'étoile jaune (Robert Laffont 2010)

              Antisémitisme : les dates clés du régime de Vichy

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              Dès septembre 1940, le gouvernement de Vichy a mis en place une politique d'antisémitisme d'Etat avant de devenir complice de la "Solution finale" voulue par les nazis. 
              Des dates oubliées doivent être rappelées tant la mémoire collective est devenue amnésique :
              • 27 septembre 1940 : le Militärbefehlshaber publie sa première ordonnance visant les Juifs de la zone Nord (français ou étrangers) pour se faire recenser avant le 20 octobre. Ce recensement effectué par les autorités françaises entraîna la création du Fichier des Juifs de la Préfecture de police. 
              • Ces annotations font de Pétain un acteur véritable de la politique antijuive (Document Mémorial de la Shoah)
              • 3 octobre 1940 : promulgation du premier Statut des Juifs, signé par Pétain, sans aucune pression allemande. Il excluait les Juifs de tous les postes de la fonction publique, de la presse et du cinéma, et des professions libérales. En outre, il proclamait la notion de race juive, alors que l'ordonnance allemande du 27 septembre ne faisait référence qu'à la religion juive. Le document original, annoté de la main de Pétain, révélé en 2010 par Serge Klarsfeld, atteste de son  profond antisémitisme, durcissant le texte initial. Alors que le projet prévoyait d'épargner  les " descendants de Juifs nés français ou naturalisés avant 1860 ", le maréchal rayera cette mention. A la main, il complètera également le texte de façon à exclure totalement les Juifs, français et étrangers, de la justice et de l'enseignement. 
                • 4 octobre 1940 : une loi de l'Etat français autorise l'internement de 40 000 juifs étrangers dans des camps de la zone sud et la première grande rafle collective - dite du "billet vert" - a lieu 14 mai 1941, visant les Juifs polonais, tchécoslovaques et autrichiens, âgés de 18 à 40 ans. Ils avaient été convoqués par la police parisienne... 3 747 juifs seront envoyés dans les camps du Loiret de Beaune-la-Rolande.
                • 29 mars 1941 création du Commissariat général aux questions juives (CGQJ), dirigé par Xavier Vallat, puis fin 1941, par Louis Parquier de Pellepoix.
                • 2 juin 1941 : promulgation du deuxième Statut des Juifqui allonge la liste des professions interdites avec une restriction de principe pour l’accès à une « profession libérale, une profession commerciale, industrielle ou artisanale, ou une profession libre ». La loi du 17 novembre 1941 étendra encore la liste des interdictions professionnelles.
                • 21 juin 1941 : numerus clausus fixé à 3 % pour les étudiants juifs à l’université.
                • 22 juillet 1941 :  loi sur " l’aryanisation " des biens juifs. Elle vise à « éliminer toute influence juive dans l’économie nationale » et autorise la nomination des administrateurs provisoires pour procéder à la liquidation des biens, entreprises et immeubles, que l’État peut aussi confisquer.
                • 13 août 1941 : "Il est interdit aux Juifs d'avoir des postes récepteurs de TSF en leur possession".  Ils devront les remettre aux maires ou aux commissariats de police.
                • 7 février 1942 :"Il est interdit aux Juifs d'être hors de leurs logements entre 20 heures et 6 heures, de changer le lieu de leur résidence actuelle". Sanctions : emprisonnement, amende et internement possible dans un "camp de Juifs".
                • 27 mars 1942 : premier convoi de déportés juifs parti de la gare du Bourget pour Auschwitz-Birkenau, avec 1 112 hommes. Dix-neuf seulement en reviendront.
                • 8 juillet 1942 : "Interdiction de fréquenter des établissements de spectacle et autres établissements ouverts au public". "Les Juifs ne pourront entrer dans les grands magasins, les magasins de détail et artisanale ou y faire leurs achats ou les faire faire par d'autres personnes que de 15 h à 16 h".
                • 16 juillet 1942 : la rafle du Vélodrome d'Hiver, dans le 15e arrondissement de Paris. Organisée par René Bousquet, secrétaire général de la police nationale nommé en avril 1942 par le chef du gouvernement Pierre Laval, elle permet avec le concours actif de 7000 policiers et gendarmes, l'arrestation de 13 152 Juifs : 4 115 enfants, 5 919 femmes et 3 118 hommes. 

                René Bousquet (1909-1993) aux côtés de Pierre Laval (1883-1945) 
                > Bousquet sera aussi aux côtés de l'occupant lors de la rafle de Marseille, des 22, 23 et 24 janvier 1943 où 5.956 personnes sont arrêtées. Pendant ses 20 mois à la tête de la police, jusqu'en décembre 1943, 60.000 Juifs seront déportés.  
                A la Libération, après trois ans de prison, il sera acquitté par la Haute Cour de justice tout en étant frappé d'indignité nationale. 
                "Oublié" pendant près de 40 ans, l'ancien haut fonctionnaire effectuera après guerre une carrière d'homme d'affaires. Il siègea dans plusieurs conseils d'administration (Banque d'Indochine, le quotidien régional La Dépêche du Midi, la compagnie aérienne UTA). 
                Ami personnel de François Mitterrand de longue date, Bousquet aurait bénéficié du soutien du président de la République pour freiner de nouvelles poursuites. Une plainte sera notamment déposée pour crimes contre l'humanité par l'association des Fils et filles de déportés juifs de France, mais, à la veille de son procès, il est assassiné de cinq balles tirées le 8 juin 1993 à la porte de son appartement, par un "déséquilibré", Christian Didier, condamné à dix ans de réclusion qui mourra à 71 ans des suites d'un cancer en 2014.
                    > Par décret du 3 février 1993 la date du 16 juillet est devenue "Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français". Une date mémorielle complétée en 2000 par l'Hommage aux « Justes » de France. 
                    (voir la vidéo du discours - INA)


                    • Ce n'est que le 16 juillet 1995, peu de temps après son élection à la présidence de la République, que Jacques Chirac, à l'occasion du 53e anniversaire de la rafle, reconnaît officiellement la responsabilité des crimes de l'Etat français, jusqu'alors niée par les présidents successifs de la Ve République : " Oui, la folie criminelle de l'occupant a été, chacun le sait, secondée par des Français, secondée par l'État français. La France, patrie des Lumières, patrie des Droits de l'homme, terre d'accueil, terre d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable."

                    D'après "Les Juifs sous l'Occupation", recueil de textes officiels français et allemands, 1940-1944. Centre de documentation juive contemporaine et Association Les fils et les filles des déportés juifs de France.

                    Revue de presse : l'étoile jaune, il y a 74 ans

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                    Trois médias ont aimablement publié notre dossier consacré à l'étoile jaune, a l'occasion de "l'anniversaire" de son obligation d'être portée, décrétée par l'ordonnance allemande du 29 mai 1942.

                    COL.fr
                    Tribune Juive
                     Quoi de neuf en Israel

                    Merci ! Ils contribuent ainsi à lutter contre l'oubli.

                    A Toulouse, la Fondation Bemberg présente la collection de l'ancien nazi Oetker

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                    La Fondation Bemberg à Toulouse accueille, depuis le 1er juillet dernier et jusqu’au 25 septembre, lexposition « Trésors d’orfèvrerie allemande du XVIe siècle ». Une collection pour le moins controversée, constituée par l'ancien nazi, Rudolf-August Oetker.

                    La cinquantaine d'oeuvres, datant de la Renaissance germanique, sont issues de la collection privée de Rudolf-August Oetker (1916-2007).
                    Mais qui est donc ce collectionneur allemand ? 
                    Le site de la Fondation Bemberg, tout comme le quotidien régional " La dépêche du Midi " ne disent rien du passé d'Oetker pour informer complètement le visiteur potentiel de l'exposition. 

                    Rudolf-August Oetker (1916-2007)
                    Oetker a été un puissant entrepreneur et un grand collectionneur mais dans sa jeunesse, il fut Waffen SS. 
                    Au camp de Dachau, il était Unterscharführer, responsable du gazage des juifs. 
                    Son beau-père, Richard Kaselowsky, était un proche de Henrich Himmler, un des principaux maîtres de l'extermination des Juifs.
                    Arrêté en 1945 par les Britanniques, Oetker ne sera pas inquiété.  
                    Pourtant, « Le passé nazi de ce collectionneur, ses relations peu recommandables et la provenance guère documentée des pièces présentées invitent à s’interroger sur l’exposition de cet ensemble dont le parcours tait l’histoire», écrit Sarah Hugounenqdans le Quotidien de l’art du 6 juillet 2016. 

                    > Oetker compte aujourd'hui parmi les plus importants groupes agro-alimentaires européens.
                    Son histoire commence en 1891 lorsqu’August Oetker ouvre une pharmacie à Bielefeld en Rhénanie du Nord - Westphalie. Il y vend une levure chimique utilisée en boulangerie. Les ventes sont telles qu'en 1900, il créé une usine de levure qui produisait jusqu’à 100.000 paquets par jour.
                    En 1919, est lancée la filiale France avec la marque Ancel. Après la crise de 1929, une usine s’ouvre à Strasbourg.
                    Lorsque Rudolf-August Oetker, le petit-fils du fondateur, reprend les rênes de l’empire, il est aidé par son beau-père Richard Kaselowsky, membre du parti nazi, qui bénéficia de nombreux marchés publics. 
                    En 2013, August Oetker, fils de Rudolf-August, reconnaît le passé nazi de son père et finance même des recherches historiques pour faire toute la lumière sur ce lourd passé.

                    Présent dans le monde entier, le groupe agro-alimentaire Oetker compte aujourd'hui 400 entreprises, emploie 27.000 personnes, et vend puddings, pizzas, levures alimentaires, 40 marques de bière, vins mousseux et même de la limonade bio.
                    Depuis 1978, le groupe Oetker est propriétaire du prestigieux hôtel Bristol à Paris, rue du Faubourg Saint Honoré.


                    En 2013, le groupe a réalisé un chiffre d’affaires consolidé de près de 11 milliards d’euros. 47 % des affaires concernent le fret maritime. 


                    Les réactions à l'exposition de Toulouse  
                    Jusqu'au 25 septembre à l'Hôtel d'Assezat à Toulouse


                    " Times of Israël " du 7 juillet 2016.

                    Ligue de Défense Juive du 7 juillet 2016

                    La revue de presse du CRIF



                    Sur l'histoire de la famille Oetker 

                    - Article du site Bloomberg publié en février 2014. Les descendants de l'ancien nazi ont accepté de faire la lumière sur le passé de l'entreprise. Ils ont confié la tâche à des historiens de l'université d'Augsbourg. Un livre a été publié en 2013 : " Dr Oetker und der Nationalsozialismus, Geschichte eines Familienunternehmens 1933-1945 ", de Finger, Keller et Wirsching.


                    - Des articles de 2013 et 2015 de l'hebdomadaire Le Point sur le passé nazi des entreprises allemandes

                    - Article de Der Spiegel de 2013
                    Pour l'anniversaire de l'entreprise en 1941, la famille Oetker avec les membres supérieurs du régime nazi - le Gauleiter Alfred Meyer (uniforme clair). De gauche à droite: Karl Oetker, Isa Kaselowsky (mère de Rudolf Oetker), Rudolf Oetker  en uniforme de la Wehrmacht, Richard Kaselowsky (partiellement caché)

                    Les nazis et le pillage des oeuvres d'art

                    L'exposition controversée de Toulouse oblige à s'interroger sur l'origine des oeuvres présentées. C'est une nouvelle fois l'occasion de rappeler l'extraordinaire pillage d'oeuvres d'art, commis par les nazis.

                    L'histoire du plus grand hold-up du XXe siècle commença en juin 1939, lorsque le Dr Hans Posseéminent spécialiste de l'art baroque et de la Renaissance italienne et néerlandaise, et directeur de la Gemäldegalerie Alte Meister (galerie de peintures de Dresde), reçut lordre dHitler de collecter des oeuvres d'art pour alimenter le futur Führermuseum, un pharaonique projet de musée du Reich, voulu par le Führer.

                    Le pillage des oeuvres d'art, lancé dans toute l'Europe occupée, faisait suite à la directive de Hitler du 30 juin 1940, ordonnant la " mise en sûreté au delà des collections publiques des oeuvres d'art appartenant à des particuliers ".

                    Ces opérations de spoliation à grande échelle sont lancées en France dès le 17 septembre 1940 lorsque le général Keitel, chef du Haut Commandement des forces armées à Paris, applique l'ordre du Führer de confisquer " les objets précieux des Juifs et de les transporter en Allemagne " grâce à l'Eisatzstab Reichsleiters Rosenberg (ERR), l'unité spéciale dirigée par Alfred Rosenberg
                    Le butin concernait les inestimables collections d’Alphonse Kann, Paul Rosenberg, Schloss, Bernheim, Rothschild, Camondo, Wildenstein, Seligmann, etc.

                    A partir d’octobre, l’ambassade d’Allemagne croulant sous les oeuvres saisies, elles sont entreposées au musée du Jeu de Paume. 
                    En avril 1941, l'ERR ira jusqu'à saisir des collections se trouvant en zone libre, comme la collection David-Weill au château de Sourches (Sarthe). Vichy ne protestera qu'en juin, juste avant la loi du 22 juillet 1941 sur l'aryanisation des biens juifs.
                    Pour faciliter son pillage, Hans Posse demandera aux autorités allemandes quatre  exemptions d'étoile jaune pour permettre à des marchands d'art juifs de travailler à son service, sans être inquiétés par les contrôles de police. 

                    Allan et Emmanuel Loebl, en ont bénéficié en août 1942, avec Hugo Engel, un Juif autrichien, à la tête d'une importante galerie, et son fils Herbert Engel. (1)
                    Hans Posse, qui mourra d'un cancer en décembre 1942, travaillait aussi avec le marchand berlinois Charles Haberstock. 
                    Le Reichsmarschall Hermann Göring embaucha Bruno Lohse, un historien d'art, engagé dans la SS, qui travaille pour l'ERR, et qui prendra Allan Loebl à son service pour obtenir les plus belles oeuvres. Loebl lui fera partager ses relations. Echange de bons procédés, Lohse fera libérer l'épouse de Jean de Cayeux de Sénarpont, président du syndicat des marchands d'art, née Daria Kamenka, internée à Drancy, parce que juive russe, traductrice réputée et femme de lettres connue sous le pseudonyme de Daria Olivier. 


                    Allan Loebl était effectivement affilié au syndicat des marchands d'art où l'on retrouve l'industriel Achille Boitel, liquidé par la Résistance en 1944, et l'antiquaire Yves Perdoux, qui révéla les cachettes des collections du marchand d'art Paul Rosenberg, dans le Bordelais, obtenant en contre-partie trois Pissaro et un Renoir. (2)

                    Collectionneur compulsif, Göring fera également appel à l'expert juif, Max Jakob Friedlaender (1867-1958), pour compléter ses collections commencées au début des années trente. Il fera au moins douze visites au Jeu de Paume en 1941 et cinq en 1942 (3), où l'assistante de conservation, Rose Valland, jouera un rôle éminent pour répertorier les oeuvres volées, et permettre ainsi leur récupération par les "Monuments Men" américains. (4)
                    Détail révélateur sur l'utilisation des intermédiaires juifs : en prime d'un tableau d'Utrillo, tiré de la collection Bernheim, Göring recevra l'intégralité de la bibliothèque d'art d'Allen Loebl.
                    Les saisies opérées en France visèrent plus de 200 collections et près de 30000 tableaux, dessins, gravures, meubles, bijoux, argenterie, objets de valeur qui dans 4170 caisses quittèrent la France pour l'Allemagne dans 29 convois entre 1941 et 1944 .

                    Le 27 août 1944, le dernier train d'oeuvres d'art en partance pour l'Allemagne sera arrêté par des hommes de la 2e DB en gare d'Aulnay-sous-Bois. 
                    Parmi eux, le jeune lieutenant Alexandre Rosenberg, fils du collectionneur Paul Rosenberg (lire sa biographie écrite par sa petite fille, Anne Sinclair).
                    Le film « Le Train », sorti en 1964, de John Frankenheimer,raconte l'odyssée de ce convoi de tableaux de maîtres volés.

                    En 2000, la commission Matteoli, dressant le bilan de la spoliation des Juifs de France, estimera à plus de 100.000 les objets d'art pillés sur le territoire français entre 1940 et 1944. Depuis une vingtaine d’années, l’Etat n’a restitué que 70 oeuvres, sur 2000, encore conservées dans des musées français...



                    1) CDJC-XXVa-186 Six documents, du 10 août 1942 au 13 juillet 1943, concernant l'exemption du port de l'étoile jaune pour Allan Loebl, Emmanuel Loebl et Hugo Engel .
                    (2) André Gob : " Des musées au dessus de tout soupçon " (Armand-Colin, 2007) chap. 4 : Butin, saisies, spoliations 1933-1946, p. 142 à 144.
                    (3) Le rapport du 15 août 1945 de l'Office des Services Stratégiques Américain établira que, de février 1941 à novembre 1943, l'ERR organisa jusqu'à 28 "échanges " de peintures françaises de la fin du XIXe et XXe siècles, provenant principalement des collections Rosenberg-Bernstein. Dix-huit de ces échanges réalisés au seul profit de Göring.
                    (4) Corinne Bouchoux : « Rose Valland, La Résistance au musée » (Geste éditions 2006)

                    En 2014, le film « The Monuments Men », avec George Clooney, rappelait l’histoire de l’équipe spécialisée, envoyée par Roosevelt en Europe, pour récupérer ces oeuvres dérobées aux Juifs. 

                    > En 2015, éclata l’affaire Gurlitt, cet Allemand retrouvé avec plus de 1.500 tableaux volés à des familles juives, qui les avait tranquillement cachés dans un coffre en Suisse.

                    > POUR EN SAVOIR PLUS SUR LE PILLAGE DES OEUVRES D'ART 

                    Le site ArtCult le journal du marché de l'art publie un article très complet d'Adrian Darmon.

                    > A LIRE 

                    Laurence Bertrand Dorléac : " L'Art de la défaite " (Seuil, 1993)
                    Michel Rayssac : " L'exode des musées - Histoire des oeuvres d'art sous l'Occupation " (Payot, 2007)
                    Hector Feliciano : " Le Musée disparu - Enquête sur le pillage d'oeuvres d'art en France par les nazis " (Gallimard, 2009)
                    Anne Sinclair : " 21 rue La Boétie " (Grasset, 2012)


                    A Toulouse, la Fondation Bemberg présente la collection de l'ancien nazi Rudolf-August Oetker

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                    La Fondation Bemberg à Toulouse accueille, depuis le 1er juillet dernier et jusqu’au 25 septembre, lexposition « Trésors d’orfèvrerie allemande du XVIe siècle ». Une collection pour le moins controversée, constituée par l'ancien nazi, Rudolf-August Oetker.

                    Rudolf-August Oetker (1916-2007) : un ancien Waffen SS
                    La quarantaine d'oeuvres de grands maîtres de l'orfèvrerie, datant de la Renaissance germanique du XVIe siècle, sont issues de la collection privée de Rudolf-August Oetker (1916-2007).
                    Mais qui est donc ce collectionneur allemand ? 

                    Le site de la Fondation Bemberg, tout comme le quotidien régional " La dépêche du Midi " qui annonçait l'exposition, ne disent pas un mot du lourd passé d'Oetker pour informer complètement le visiteur potentiel de l'exposition. Un silence très gênant qui est vite devenu l'argument d'une lourde polémique venue ternir la qualité des pièces présentées...

                    Car, si Oetker a bien été un grand entrepreneur et un grand collectionneur, il fut aussi Waffen SS dans sa jeunesse
                    Au camp de Dachau, il était Unterscharführer, responsable du gazage des juifs. 
                    Son beau-père, Richard Kaselowsky, était proche de Heinrich Himmler, un des principaux maîtres de l'extermination des Juifs.

                    Arrêté en 1945 par les Britanniques, Oetker ne sera pas inquiété.  
                    Des pièces réalisées par les plus grands maîtres orfèvres

                    Pourtant, « Le passé nazi de ce collectionneur, ses relations peu recommandables et la provenance guère documentée des pièces présentées invitent à s’interroger sur l’exposition de cet ensemble dont le parcours tait l’histoire», écrit Sarah Hugounenqdans le Quotidien de l’art du 6 juillet 2016. 

                    Elle souligne que l'entreprise Oetker, d'après un rapport de 1946, a obtenu pendant cinq années consécutives le titre de Nationalsozialistischer Musterbetrieb (entreprise nationale-socialiste modèle)... 

                    Le catalogue de l'exposition, consultable sur place, montre explicitement que certaines oeuvres ont bien appartenu à des juifs comme Victor Rothschild ou Eugen Gutmann. Sont-elles entrées dans la collection suite à des spoliations ? 
                    Effectivement, les notices ne sont pas assez précises sur la provenance des oeuvres.

                    Le site spécialisé souligne que sur 44 notices, 27 ne mentionnent aucune provenance. Et sur le tiers des notices restantes, les rares dates mentionnées concernent des temps reculés. 
                    Elle rappelle aussi que la collection Oetker s'est constituée avec la contribution de Günther Schiedlausky, un ancien membre de l'ERR (EinsatzstabReichsleiter Rosenberg), état-major du parti nazi chargé de la confiscation des biens juifs.

                    Interpellée par le journal local "Côté Toulouse", la mairie qui est membre du conseil d'administration de la Fondation Bemberg, a fait une mise au point :  " L’essentiel pour nous est que les pièces en question ne proviennent pas de biens spoliés, notamment à des juifs, ce qui n’est pas le cas. Si cela avait été le cas, nous aurions bien sûr fait pression sur l’organisateur mais il n’y a pas de difficulté à ce niveau. L’on peut donner un véritable crédit scientifique à cette exposition d’autant plus que les pièces ont déjà été présentées en France mais aussi au Metropolitan Museum of art de New York".

                    Réagissant à la polémique, le président de la Fondation Bemberg a répliqué que les fonds de la collection Oetker avaient "été parfaitement catalogués par des spécialistes reconnus" et que "toutes les pièces présentées à la Fondation avaient précédemment été montrées dans les musées de Münster en 2003, Dresde en 2011-2012 et Bielefeld en 2015". (NDLR - Ce dernier musée bénéficiant du mécénat du groupe Oetker depuis les années cinquante, la pertinence objective de cet argument n'est guère convaincante).

                    Quant au passé nazi de Oetker, il explique qu'il n'était "pas dans les habitudes de la Fondation de donner la biographie des collectionneurs, mais de se concentrer sur les oeuvres".

                    > Oetker compte aujourd'hui parmi les plus importants groupes agro-alimentaires européens.

                    Son histoire commence en 1891 lorsque August Oetker ouvre une pharmacie à Bielefeld en Rhénanie du Nord - Westphalie. Il y invente la levure chimique utilisée désormais en boulangerie. Les ventes sont telles qu'en 1900, il créé une usine qui produisait jusqu’à 100.000 paquets par jour.
                    En 1919, est lancée la filiale France avec la marque Ancel. Après la crise de 1929, une usine s’ouvre à Strasbourg.
                    Lorsque Rudolf-August Oetker, le petit-fils du fondateur, reprend les rênes de l’empire, il est aidé par son beau-père Richard Kaselowsky, membre du parti nazi, qui bénéficia de nombreux marchés publics et permit à son clan familial de racheter la villa du directeur juif de l'entreprise de tabac Reemstma, spoliée de ses biens.
                    En 2013, August Oetker, fils de Rudolf-August, reconnaît le passé nazi de son père et finance même des recherches historiques pour faire toute la lumière sur ce lourd passé. Un repentir tardif, six ans après la mort du patriarche à 89 ans.

                    Présent dans le monde entier, 8e fortune allemande (7,5 milliards d'euros), le groupe agro-alimentaire Oetker compte aujourd'hui 400 entreprises, emploie 27.000 personnes, et vend puddings, pizzas, levures alimentaires, 40 marques de bière, vins mousseux et même de la limonade bio.
                    Depuis 1978, le groupe Oetker est propriétaire du prestigieux hôtel Bristol à Paris, rue du Faubourg Saint Honoré.
                    En 2013, le groupe a réalisé un chiffre d’affaires consolidé de près de 11 milliards d’euros et 47 % des affaires concernent le fret maritime. 


                    Revue de presse des réactions à l'exposition de Toulouse  

                    Jusqu'au 25 septembre à l'Hôtel d'Assezat à Toulouse


                    " Times of Israël " du 7 juillet 2016.

                    Ligue de Défense Juive du 7 juillet 2016

                    La revue de presse du CRIF

                    Le Parisien du 9 juillet 2016

                    Hebdomadaire Côté Toulouse du 9 juillet 2016


                    Télérama du 9 juillet 2016

                    France 3 du 9 juillet 2016

                    La Croix du 10 juillet 2016

                    La Dépêche du Midi du 12 juillet 2016


                    Sur l'histoire de la famille Oetker 

                    - Article du site Bloomberg publié en février 2014. Les descendants de l'ancien nazi ont accepté de faire la lumière sur le passé de l'entreprise. Ils ont confié la tâche à des historiens de l'université d'Augsbourg. Un livre a été publié en 2013 : " Dr Oetker und der Nationalsozialismus, Geschichte eines Familienunternehmens 1933-1945 ", de Finger, Keller et Wirsching.


                    - Des articles de 2013 et 2015 de l'hebdomadaire Le Point sur le passé nazi des entreprises allemandes

                    - L'Obs d'octobre 2013

                    - Article de Der Spiegel de 2013
                    Pour l'anniversaire de l'entreprise en 1941, la famille Oetker avec les membres supérieurs du régime nazi - le Gauleiter Alfred Meyer (uniforme clair). De gauche à droite: Karl Oetker, Isa Kaselowsky (mère de Rudolf Oetker), Rudolf Oetker  en uniforme de la Wehrmacht, Richard Kaselowsky (partiellement caché)

                    LES NAZIS ET LE PILLAGE DES OEUVRES D'ART

                    L'exposition controversée de Toulouse oblige à s'interroger sur l'origine des oeuvres présentées. C'est une nouvelle fois l'occasion de rappeler l'extraordinaire pillage d'oeuvres d'art, commis par les nazis.
                    Hans Poss

                    L'histoire du plus grand hold-up du XXe siècle commença en juin 1939, lorsque le Dr Hans Posseéminent spécialiste de l'art baroque et de la Renaissance italienne et néerlandaise, et directeur de la Gemäldegalerie Alte Meister (galerie de peintures de Dresde), reçut lordre dHitler de collecter des oeuvres d'art pour alimenter le futur Führermuseum, un pharaonique projet de musée du Reich, voulu par le Führer.

                    Le pillage des oeuvres d'art, lancé dans toute l'Europe occupée, faisait suite à la directive de Hitler du 30 juin 1940, ordonnant la " mise en sûreté au delà des collections publiques des oeuvres d'art appartenant à des particuliers ". Ces opérations de spoliation à grande échelle sont lancées en France dès le 17 septembre 1940 lorsque le général Keitel, chef du Haut Commandement des forces armées à Paris, applique l'ordre du Führer de confisquer " les objets précieux des Juifs et de les transporter en Allemagne " grâce à l'Eisatzstab Reichsleiters Rosenberg (ERR), l'unité spéciale dirigée par Alfred Rosenberg. 

                    Le butin concernait les inestimables collections d’Alphonse Kann, Paul Rosenberg, Schloss, Bernheim, Rothschild, Camondo, Wildenstein, Seligmann, etc.

                    A partir d’octobre, l’ambassade d’Allemagne croulant sous les oeuvres saisies, elles sont entreposées au musée du Jeu de Paume. 
                    En avril 1941, l'ERR ira jusqu'à saisir des collections se trouvant en zone libre, comme la collection David-Weill au château de Sourches (Sarthe). 
                    Vichy ne protestera qu'en juin, juste avant la loi du 22 juillet 1941 sur l'aryanisation des biens juifs.

                    Pour faciliter son pillage, Hans Posse demandera aux autorités allemandes quatre  exemptions d'étoile jaune pour permettre à des marchands d'art juifs de travailler à son service, sans être inquiétés par les contrôles de police. 

                    Allan et Emmanuel Loebl, en ont bénéficié en août 1942, avec Hugo Engel, un Juif autrichien, à la tête d'une importante galerie, et son fils Herbert Engel. (1)
                    Hans Posse, qui mourra d'un cancer en décembre 1942, travaillait aussi avec le marchand berlinois Charles Haberstock. 
                    Le Reichsmarschall Hermann Göring embaucha Bruno Lohse, un historien d'art, engagé dans la SS, qui travaille pour l'ERR, et qui prendra Allan Loebl à son service pour obtenir les plus belles oeuvres. Loebl lui fera partager ses relations. 
                    Echange de bons procédés, Lohse fera libérer l'épouse de Jean de Cayeux de Sénarpont, président du syndicat des marchands d'art. Née Daria Kamenka, elle était internée à Drancy, parce que juive. Russe, traductrice réputée et femme de lettres, elle était connue sous le pseudonyme de Daria Olivier. 


                    Allan Loebl était effectivement affilié au syndicat des marchands d'art où l'on retrouve l'industriel Achille Boitel, liquidé par la Résistance en 1944, et l'antiquaire Yves Perdoux, qui révéla les cachettes des collections du marchand d'art Paul Rosenberg, dans le Bordelais, obtenant en contre-partie trois Pissaro et un Renoir. (2)

                    Collectionneur compulsif, Göring fera également appel à l'expert juif, Max Jakob Friedlaender (1867-1958), pour compléter ses collections commencées au début des années trente. Il fera au moins douze visites au Jeu de Paume en 1941 et cinq en 1942 (3), où l'assistante de conservation, Rose Valland, jouera un rôle éminent pour répertorier les oeuvres volées, et permettre leur récupération par les "Monuments Men" américains. (4)
                    Détail révélateur sur l'utilisation des intermédiaires juifs : en prime d'un tableau d'Utrillo, tiré de la collection Bernheim, Göring recevra l'intégralité de la bibliothèque d'art d'Allen Loebl.
                    Les saisies opérées en France visèrent plus de 200 collections et près de 30000 tableaux, dessins, gravures, meubles, bijoux, argenterie, objets de valeur qui dans 4170 caisses quittèrent la France pour l'Allemagne dans 29 convois entre 1941 et 1944 .

                    Le 27 août 1944, le dernier train d'oeuvres d'art en partance pour l'Allemagne sera arrêté par des hommes de la 2e DB en gare d'Aulnay-sous-Bois. 
                    Parmi eux, le jeune lieutenant Alexandre Rosenberg, fils du collectionneur Paul Rosenberg (lire sa biographie écrite par sa petite fille Anne Sinclair). 
                    L'histoire de ce dernier transport d'oeuvres d'art a inspiré
                     le film Le Train  réalisé par John Frankenheimer
                     et Bernard Farrel, avec Burt Lancaster et Michel Simon, sorti en 1964.


                    Le film « Le Train », sorti en 1964, de John Frankenheimer,  raconte l'odyssée de ce convoi de tableaux de maîtres volés.

                    En 2000, la commission Matteoli, dressant le bilan de la spoliation des Juifs de France, estimera à plus de 100.000 les objets d'art pillés sur le territoire français entre 1940 et 1944. Depuis une vingtaine d’années, l’Etat n’a restitué que 70 oeuvres, sur 2000, encore conservées dans des musées français...


                    En 2015, éclata l’affaire Gurlitt, cet Allemand retrouvé avec plus de 1.500 tableaux volés à des familles juives, qui les avait tranquillement cachés dans un coffre en Suisse !

                    Thierry Noël-Guitelman


                    1) CDJC-XXVa-186 Six documents, du 10 août 1942 au 13 juillet 1943, concernant l'exemption du port de l'étoile jaune pour Allan Loebl, Emmanuel Loebl et Hugo Engel .
                    (2) André Gob : " Des musées au dessus de tout soupçon " (Armand-Colin, 2007) chap. 4 : Butin, saisies, spoliations 1933-1946, p. 142 à 144.
                    (3) Le rapport du 15 août 1945 de l'Office des Services Stratégiques Américain établira que, de février 1941 à novembre 1943, l'ERR organisa jusqu'à 28 "échanges " de peintures françaises de la fin du XIXe et XXe siècles, provenant principalement des collections Rosenberg-Bernstein. Dix-huit de ces échanges réalisés au seul profit de Göring.
                    (4) Corinne Bouchoux : « Rose Valland, La Résistance au musée » (Geste éditions 2006)


                    > POUR EN SAVOIR PLUS SUR LE PILLAGE DES OEUVRES D'ART 

                    Sur ArtCult le site du journal du marché de l'art, publie un article très complet d'Adrian Darmon (mars 2014)

                    > A LIRE 

                    Laurence Bertrand Dorléac : " L'Art de la défaite " (Seuil, 1993)
                    Michel Rayssac : " L'exode des musées - Histoire des oeuvres d'art sous l'Occupation " (Payot, 2007)
                    Hector Feliciano : " Le Musée disparu - Enquête sur le pillage d'oeuvres d'art en France par les nazis " (Gallimard, 2009)
                    Anne Sinclair : " 21 rue La Boétie " (Grasset, 2012)

                    > A VOIR

                    " The Monuments Men", de George Clooney (2014). Avec George Clooney, Matt Damon, Bill Murray, Cate Blanchett, John Goodman, Jean Dujardin.
                    Histoire de l’équipe spécialisée, envoyée par Roosevelt en Europe, pour récupérer ces oeuvres dérobées aux Juifs. 

                    " L' Antiquaire " (bande annonce sur le site de Télérama) de François Margolin (2015). Avec Michel Bouquet, François Berléand, Robert Hirsch et Anna Sigalevitch.
                    Synopsis : la jeune journaliste française Esther Stegmann découvre par hasard l'existence d'un tableau du peintre Jacques-Laurent Agasse (1767-1849) ayant appartenu à sa famille avant la guerre. Elle se lance dans une l'enquête pour comprendre les dessous de ce secret de famille. 
                    Le film s'inspire d'un fait réel : la recherche par Sophie Seligmann des biens de son grand-père Jean-Albert Seligmann, né en 1903, fusillé au Mont-Valérien le 15 décembre 1941.



                    L’organisateur du Vél d’Hiv aida au sauvetage d’une jeune juive

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                    Emile Hennequin dirigeait la police municipale lors de la rafle du Vél d'Hiv, il y a 74 ans, les 16 et 17 juillet 1942. Sous ses ordres, 7.000 policiers et gendarmes sont partis à la chasse aux juifs dans Paris et sa proche banlieue. 13.152 personnes seront arrêtées, dont 4.115 enfants, enfermées dans le Vélodrome d’Hiver, avant leur déportation.

                    Emile Hennequin
                    Directeur de la police municipale, Emile Hennequin donna les instructions pour l'organisation méticuleuse de la rafle du Vél d'Hiv (Source : CDJC-XX-14b et ci-dessous l'ordre de réquisition des cinquante autobus).
                    Son action lui vaudra une promotion au poste de directeur général de la police municipale le 1er janvier 1943.
                    La rafle du Vél d'Hiv n’ayant pas permis d’atteindre l'objectif de 15.000 arrestations, Hennequin suggéra au préfet, dans un rapport du 20 juillet, d’utiliser le renouvellement des cartes d’alimentation pour arrêter les « israélites » ayant échappé à la rafle...

                    Né le 6 décembre 1887 à Paris, Hennequin débuta en 1910 comme agent de la police impériale de Russie à l’ambassade russe à Paris. Inspecteur stagiaire en 1912, tularisé en 1913, commissaire en 1922, il rejoint l’Indochine en 1931.

                    Revenu à Paris en 1934, il est commissaire du 15e arrondissement en 1936, puis du 9e en 1937. Commissaire divisionnaire en 1938, il est promu directeur adjoint de la police municipale le 1er décembre 1940. (Source : Société Française d'Histoire de la Police)



                    Hennequin réquisitionne 50 autobus
                    Indirectement, Emile Hennequin participa au sauvetage d’Ida Seurat-Guitelman. Cette jeune juive obtiendra des autorités allemandes une exemption de l’étoile jaune demandée par son mari, policier à la préfecture de Paris, recommandé par Hennequin.

                    Le 30 octobre 1942, Hennequin signe ce courrier :
                    " Je soussigné, Directeur de la Police Municipale, certifie que M. Seurat, Emile, est employé à la Préfecture de Police en qualité de Gardien de la Paix.
                    M. Seurat est un excellent agent, d'un bon esprit, dévoué et travailleur ".
                    (Source : CDJC-XXVa-203)


                    La recommandation signée Hennequin (CDJC-XXVa-203)
                    Emile Seurat va joindre cette attestation à sa demande, transmise au service IV J de la Gestapo.

                    A 35 ans, ce simple gardien de la paix, ancien chauffeur du maréchal Foch pendant son service militaire, rédige une courte lettre au Commandant du " Service juif allemand " : 

                    " Je me permets de solliciter de votre haute bienveillance une dérogation pour le port de l'insigne de ma femme, Seurat, Ida, née Guitelman, le 7 septembre 1915 à Paris. Française d'origine Israélite, mariée à Paris le 29 juin 1935.

                    J'ai un fils né en 1938, baptisé catholique, inscrit dans une école chrétienne. 
                    Je suis gardien de la paix, Préfecture de Police Paris depuis le 4 janvier 1932.

                    J'affirme que ma femme ne pratique pas la religion juive.
                    Dans l'espoir que ma demande sera accueillie favorablement je vous prie de croire Monsieur le Commandant à mes respectueuses salutations « .

                    Ida Seurat-Guitelman avait 27 ans en 1942
                    Une semaine plus tard, Ida Seurat-Guitelman obtient sa précieuse dérogation datée du 4 novembre 1942. 
                    La recommandation d’Hennequin ne faisait pas référence à la demande d'exemption mais, indéniablement, elle apportait un gage de sérieux.
                    Que recouvrait vraiment la mention " bon esprit " du gardien de la paix Emile Seurat ? 
                    Entre eux, s'agissait-il d'une simple solidarité policière ?
                    Sa mansuétude paraît surprenante compte tenu de son implication dans la chasse aux Juifs.
                    Comment expliquer ce " coup de pouce " en faveur du mari d'une juive ?
                    A-t-il imposé à Emile Seurat une contrepartie ?
                    Le mystère demeure.

                    Lors de l’insurrection de la préfecture le 19 août 1944, Hennequin sera arrêté par un groupe franc de la police municipale le 27 août 1944.
                    Révoqué le 8 février 1945, on lui reproche d’avoir « développé l’action de la Police municipale contre les patriotes et a ainsi favorisé l’ennemi ».
                    On lui reprocha notamment la création de brigades d’interpellation, l’exécution de surveillances pour le compte des autorités allemandes et surtout d’avoir accepté de faire procéder à des rafles massives de juifs.
                    Il sera condamné en juin 1947, par la cour de Justice de la Seine à huit ans de travaux forcés, à la dégradation nationale et à la radiation de l’ordre de la Légion d’honneur.
                    Gracie en 1948, il sera mis à la retraite d’office. On ignore la date de son décès...

                    Thierry Noël-Guitelman
                    neveu d'Ida Seurat-Guitelman

                    26 août 1942 : la grande rafle de la zone libre

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                    La rafle du Vél d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942, étant devenue le symbole de la collaboration active de l’Etat français de Vichy dans la politique allemande d’extermination des Juifs, la grande rafle du 26 août 1942, s’est retrouvée occultée par la mémoire collective.
                    Elle marque pourtant l’extension de la chasse aux Juifs étrangers dans les 40 départements de la zone libre, considérée jusqu’alors comme un refuge.
                    En 1983, Serge Klarsfeld, dans son livre " Vichy-Auschwitz, le rôle de Vichy dans la Solution Finale de la Question Juive en France 1942 ", publié chez Fayard, consacre de nombreuses pages à la suite de ce terrible été.
                    74 ans après les faits, alors que l’antisémitisme reste une constante inquiétante de la société française, il n’est pas inutile de rappeler la chronologie de ces faits insoutenables.

                    Heinz Röthke (1912-1966), chef du service des Affaires juives de la Gestapo, définit dès le 28 juillet 1942 la feuille de route des prochaines déportations de juifs vers l'Allemagne : treize convois en août et treize en septembre.
                    De son côté, le gouvernement de Vichy s’était déclaré prêt à livrer trois à quatre mille Juifs internés dans les camps de la zone libre avant la mi-août. Et prêt aussi à arrêter tous les Juifs apatrides réfugiés en zone libre. 
                    Au total, allemands et français conviennent de livrer 32.000 Juifs...
                    René Bousquet et Pierre Laval

                    • Le 31 juillet, au conseil des ministres, Pierre Laval (1883-1945), chef du gouvernement, précise l'accord passé entre les deux polices, soulignant que "le problème des enfants est réglé". Du 8 au 12 août ils ne seront pas séparés de leurs parents… Mais pas un mot sur les détails du programme de livraison : transfert de 3.000 Juifs d'ici le 10 août, arrestations massives en zone libre et transfert en zone occupée.
                    • Le 3 août, le haut fonctionnaire Jean Leguay (1909-1989), seul négociateur et organisateur des convois, rassure le préfet régional d'Orléans chargé de séparer plus de 2.000 mères de leurs enfants : " Les enfants ne doivent pas partir dans les mêmes convois que les parents ; ils seront gardés dans un camp soit à Pithiviers, soit à Beaune-la-Rolande ". Et ces " trains d'enfants seront mis en route dans la deuxième quinzaine d'août ". 
                    Mais pour les convois des 3, 5 et 7 août, Leguay sait que les enfants seront séparés de leurs mères. Elles seront 2000 à être déportées à ces dates...
                    Toujours le 3 août, Laval et René Bousquet (1909-1993), secrétaire général de la police de Vichy, confirment la « livraison » des Juifs apatrides internés en zone libre, entre le 8 et le 15 août, un "coup de filet éclair" permettant d'arrêter les autres Juifs apatrides après le 20 août.
                    Des protestations sont venues d'organisations humanitaires américaines et du Nonce apostolique, qui représente le Pape, mais rien ne peut arrêter l’engrenage infernal...

                    La situation des enfants s'aggrave. Entre le 13 et le 17 août, plus de 3.000 quittent les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande, encadrés par la police francaise, pour Drancy. Serge Klarsfeld détaille le mécanisme de la déportation en masse des enfants, dans son «  Vichy-Auschwitz », pages 332 à 335.

                    Les préparatifs de la grande rafle de la zone libre s'affinent. 
                    • Le 18 août les préfets sont informés de la date du 26 août à garder "rigoureusement secrète".
                    Le cadre des exemptions prévues pour la grande rafle de la zone libre
                    Bousquet supprime 11 exemptions prévues pour n'en conserver que 6, craignant des résultats insuffisants.
                    Restent exemptés : les vieillards de plus de 60 ans, les intransportables, les femmes enceintes, les parents d'enfants de moins de 2 ans, ceux qui ont un conjoint ou un enfant français.
                    Désormais, les enfants de moins de 18 ans doivent partir avec leurs parents.
                    Les autorités religieuses vont réagir, suite aux articles de presse de la zone occupée évoquant la déportation de 4.000 juifs apatrides "astreints à un travail utile". 

                    • Le 19 août, le cardinal Gerlier, qui à Lyon représente les évêques de la zone libre, écrit au Maréchal Pétain pour que, face aux nouvelles mesures anti-juives, " soient épargnées, s'il est possible, à ces malheureux, les souffrances qui en accablent déjà en si grand nombre ".
                    Le lendemain, le pasteur Boegner adresse à son tour une missive à Pétain en évoquant la livraison des Juifs et dénonce les " conditions d'inhumanité qui ont révolté les consciences les plus endurcies ". Il conclue : " Je vous supplie, Monsieur le Maréchal, d'imposer des mesures indispensables pour que la France ne s'inflige pas à elle-même une défaite morale dont le poids serait incalculable ".
                    Mgr Saliège, Archevêque de Toulouse

                    • Le dimanche 23 août, l'Archevêque de Toulouse, Mgr Jules Saliège (1870-1956), fait lire publiquement, malgré l'interdiction du préfet de Haute-Garonne, sa lettre pastorale dans les églises du diocèse, accusant les autorités françaises de traiter les Juifs comme "un vil troupeau" : 
                    La lettre pastorale de Mgr Saliège

                    Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n'est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et ces mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d'autres. Un chrétien ne peut l'oublier".
                    Mgr Saliège, nommé Compagnon de la Libération deviendra également Juste devant les Nations en 1969.


                    L'interdiction préfectorale visant Mgr Saliège
                    Le lendemain, le Nonce rencontre Laval qui confirme les prochains contingents de 12 à 13.000 Juifs, se vantant d'avoir obtenu d’Hitler que les enfants suivent leurs parents. Et d'évoquer le regroupement de tout les Juifs d'Europe en une seule région...



                    Les consignes destinées aux gendarmeries pour le "ramassage" des Juifs étrangers
                    26 août à l'aube...
                    Hommage à Mgr Saliège, à la synagogue Palaprat à Toulouse


                    • Le 25 août, le Consistoire central israélite, averti de l'imminence de la grande rafle de la zone libre, rédige une motion de protestation contre les déportations, destinée à être remise par le Grand Rabbin Kaplanà Laval. Sur plus de trois feuillets, elle commence ainsi :
                      Le Consistoire central des Israélites de France, conscient du devoir de solidarité religieuse qui lui incombe, exprime au Chef du Gouvernement, l'indignation que lui inspire la décision prise par le Gouvernement Français de livrer au Gouvernement Allemand des milliers d'étrangers de diverses nationalités, mais tous de religion israélite, résidant en zone non occupée et qui s'étaient réfugiés en France avant la guerre, pour fuir les persécutions dont ils étaient victimes ". 
                    Dénonçant la volonté d'extermination elle souligne que Vichy est au courant du sort réel des déportés.
                    • Au matin du 26 août, en zone occupée, le 24e convoi qui quitte la gare du Bourget compte 1.002 Juifs, dont 365 ont moins de 15 ans. Destination Auschwitz...

                    En zone libre, la grande rafle est lancée depuis 4-5 heures du matin...
                    Le 28 août, le pointage du ministère de l'intérieur fera état de 6.584 arrestations...
                    Les préfets recevront des le 27 puis le 31 août des consignes rappelant que les enfants de 2 à 16 ans doivent être arrêtés avec leurs parents.

                    • Le 30 août, Bousquet reproche aux préfets l'écart entre les Juifs recensés et ceux qui ont été arrêtés. 
                    Aussitôt, de nouvelles opérations policières seront intensifiées entraînant l'arrestation de 1.041 Juifs regroupés au camp de Rivesaltes avant leur transfert à Drancy.

                    L'évêque de Montauban, Mgr Pierre-Marie Théas (1894-1977), ville où est né Bousquet, fera lire dans toutes les églises de son diocèse ce dimanche 30 août une lettre pastorale dénonçant la rafle, les mesures antisémites prises étant " un mépris de la dignité humaine, une violation des droits les plus sacrés de la personne et de la famille ".

                    Le 30 août encore, les présidents de la Chambre des députés et du Sénat, signent une lettre indignée  au Grand Rabbin de France :
                    Devant les mesures qui viennent d'être infligées en zone libre comme en zone occupée aux Israélites proscrits de leur pays qui avaient trouvé asile dans le nôtre, devant la barbarie du traitement que subissent leurs enfants, c'est de l'horreur qu'on éprouve ".

                    Huit jours plus tard, sept convois seront organisés avec 5.259 Juifs arrêtés en zone libre.
                    Ajoutés au 4.613 Juifs de zone libre des cinq convois entre le 7 et le 25 août, ce sont donc pas moins de 9.872 Juifs de zone libre qui ont été remis par Vichy, en moins d’un mois.
                    Ces déportations depuis la zone Sud de la France furent les seules en Europe depuis un territoire qui n’était pas occupé par les troupes allemandes.

                    Dans l'Ain, " ces opérations se sont déroulées dans l'ensemble sans incidents graves "
                    700 JUIFS SAUVES PAR LE RABBIN ROBERT MEYERS
                    Robert Meyers (1898-1943). Photo Yad Vashem

                    A Annecy (Haute-Savoie), le rabbin Robert Meyers, 44 ans, aumônier des Groupes de Travailleurs Etrangers, est parvenu à se procurer la liste des 700 Juifs étrangers du département dont l'arrestation est prévue dans la nuit du 25 au 26 août 1942. 
                    Avec sa femme Suzanne-Esther, il réussira à prévenir la plupart des personnes et la gendarmerie n'arrêtera qu'une quarantaine de Juifs étrangers.
                    Beaucoup seront exfiltrés en Suisse et l'évêque d'Annecy, Mgr Auguste Cesbron fera cacher de nombreuses familles dans des couvents.
                    Le rabbin sera convoqué par le préfet et en octobre il se voit refusé l'accès à la prison d'Annemasse où il rend souvent visite aux internés. Alors qu'il proteste auprès de la préfecture, il est menacé d'arrestation. La Gestapo l'arrêtera le 28 décembre 1942 avec Suzanne-Esther et ils seront déportés par le convoi n°48 dans la nuit du 12 au 13 février 1943.
                    Dans " L'Eglise de France face à la persécution des Juifs  (CNRS, 2012) : l'action du rabbin Meyers à Annecy (Books Google) p. 353, Sylvie Bernay souligne qu'il s'agit de l'action de sauvetage la plus spectaculaire lors de la rafle du 26 août 1942.
                    Lire aussi, à propos du rabbin Meyers "Les interventions de Léo Israelowicz"
                    Les deux fils du rabbin, Marcel et Alexis, passés en Suisse, seront sauvés. Jean-Pierre Meyers, petit-fils du rabbin, est l'époux de Françoise Bettencourt-Meyers.

                    Ressources documentaires 

                    Le site Jewishtraces

                    Le blog de l'historien-rabbin Alain Michel 

                    Mgr Jules Saliège Compagnon de la Libération

                    AKADEM : les rafles en France

                    Le cas particulier de la Corse (Corse-Matin du 4 juillet 2013)

                    26 août 1942 : la grande rafle de la zone libre

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                    La rafle du Vél d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942, étant devenue le symbole de la collaboration active de l’Etat français de Vichy dans la politique allemande d’extermination des Juifs, la grande rafle du 26 août 1942, s’est retrouvée occultée par la mémoire collective.
                    Elle marque pourtant l’extension de la chasse aux Juifs étrangers dans les 40 départements de la zone libre, considérée jusqu’alors comme un refuge.
                    En 1983, Serge Klarsfeld, dans son livre " Vichy-Auschwitz, le rôle de Vichy dans la Solution Finale de la Question Juive en France 1942 ", publié chez Fayard, consacre de nombreuses pages à la suite de ce terrible été.
                    74 ans après les faits, alors que l’antisémitisme reste une constante inquiétante de la société française, il n’est pas inutile de rappeler la chronologie de ces faits insoutenables.

                    Heinz Röthke (1912-1966), chef du service des Affaires juives de la Gestapo, définit dès le 28 juillet 1942 la feuille de route des prochaines déportations de juifs vers l'Allemagne : treize convois en août et treize en septembre.
                    De son côté, le gouvernement de Vichy s’était déclaré prêt à livrer trois à quatre mille Juifs internés dans les camps de la zone libre avant la mi-août. Et prêt aussi à arrêter tous les Juifs apatrides réfugiés en zone libre. 
                    Au total, allemands et français conviennent de livrer 32.000 Juifs...
                    René Bousquet et Pierre Laval

                    • Le 31 juillet, au conseil des ministres, Pierre Laval (1883-1945), chef du gouvernement, précise l'accord passé entre les deux polices, soulignant que "le problème des enfants est réglé". Du 8 au 12 août ils ne seront pas séparés de leurs parents… Mais pas un mot sur les détails du programme de livraison : transfert de 3.000 Juifs d'ici le 10 août, arrestations massives en zone libre et transfert en zone occupée.
                    • Le 3 août, le haut fonctionnaire Jean Leguay (1909-1989), seul négociateur et organisateur des convois, rassure le préfet régional d'Orléans chargé de séparer plus de 2.000 mères de leurs enfants : " Les enfants ne doivent pas partir dans les mêmes convois que les parents ; ils seront gardés dans un camp soit à Pithiviers, soit à Beaune-la-Rolande ". Et ces " trains d'enfants seront mis en route dans la deuxième quinzaine d'août ". 
                    Mais pour les convois des 3, 5 et 7 août, Leguay sait que les enfants seront séparés de leurs mères. Elles seront 2000 à être déportées à ces dates...
                    Toujours le 3 août, Laval et René Bousquet (1909-1993), secrétaire général de la police de Vichy, confirment la « livraison » des Juifs apatrides internés en zone libre, entre le 8 et le 15 août, un "coup de filet éclair" permettant d'arrêter les autres Juifs apatrides après le 20 août.
                    Des protestations sont venues d'organisations humanitaires américaines et du Nonce apostolique, qui représente le Pape, mais rien ne peut arrêter l’engrenage infernal...

                    La situation des enfants s'aggrave. Entre le 13 et le 17 août, plus de 3.000 quittent les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande, encadrés par la police francaise, pour Drancy. Serge Klarsfeld détaille le mécanisme de la déportation en masse des enfants, dans son «  Vichy-Auschwitz », pages 332 à 335.

                    Les préparatifs de la grande rafle de la zone libre s'affinent. 
                    • Le 18 août les préfets sont informés de la date du 26 août à garder "rigoureusement secrète".
                    Le cadre des exemptions prévues pour la grande rafle de la zone libre
                    Bousquet supprime 11 exemptions prévues pour n'en conserver que 6, craignant des résultats insuffisants.
                    Restent exemptés : les vieillards de plus de 60 ans, les intransportables, les femmes enceintes, les parents d'enfants de moins de 2 ans, ceux qui ont un conjoint ou un enfant français.
                    Désormais, les enfants de moins de 18 ans doivent partir avec leurs parents.
                    Les autorités religieuses vont réagir, suite aux articles de presse de la zone occupée évoquant la déportation de 4.000 juifs apatrides "astreints à un travail utile". 

                    • Le 19 août, le cardinal Gerlier, qui à Lyon représente les évêques de la zone libre, écrit au Maréchal Pétain pour que, face aux nouvelles mesures anti-juives, " soient épargnées, s'il est possible, à ces malheureux, les souffrances qui en accablent déjà en si grand nombre ".
                    Le lendemain, le pasteur Boegner adresse à son tour une missive à Pétain en évoquant la livraison des Juifs et dénonce les " conditions d'inhumanité qui ont révolté les consciences les plus endurcies ". Il conclue : " Je vous supplie, Monsieur le Maréchal, d'imposer des mesures indispensables pour que la France ne s'inflige pas à elle-même une défaite morale dont le poids serait incalculable ".
                    Mgr Saliège, Archevêque de Toulouse

                    • Le dimanche 23 août, l'Archevêque de Toulouse, Mgr Jules Saliège (1870-1956), fait lire publiquement, malgré l'interdiction du préfet de Haute-Garonne, sa lettre pastorale dans les églises du diocèse, accusant les autorités françaises de traiter les Juifs comme "un vil troupeau" : 
                    La lettre pastorale de Mgr Saliège

                    Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n'est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et ces mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d'autres. Un chrétien ne peut l'oublier".
                    Mgr Saliège, nommé Compagnon de la Libération deviendra également Juste devant les Nations en 1969.


                    L'interdiction préfectorale visant Mgr Saliège
                    Le lendemain, le Nonce rencontre Laval qui confirme les prochains contingents de 12 à 13.000 Juifs, se vantant d'avoir obtenu d’Hitler que les enfants suivent leurs parents. Et d'évoquer le regroupement de tout les Juifs d'Europe en une seule région...



                    Les consignes destinées aux gendarmeries pour le "ramassage" des Juifs étrangers
                    26 août à l'aube...
                    Hommage à Mgr Saliège, à la synagogue Palaprat à Toulouse


                    • Le 25 août, le Consistoire central israélite, averti de l'imminence de la grande rafle de la zone libre, rédige une motion de protestation contre les déportations, destinée à être remise par le Grand Rabbin Kaplanà Laval. Sur plus de trois feuillets, elle commence ainsi :
                      Le Consistoire central des Israélites de France, conscient du devoir de solidarité religieuse qui lui incombe, exprime au Chef du Gouvernement, l'indignation que lui inspire la décision prise par le Gouvernement Français de livrer au Gouvernement Allemand des milliers d'étrangers de diverses nationalités, mais tous de religion israélite, résidant en zone non occupée et qui s'étaient réfugiés en France avant la guerre, pour fuir les persécutions dont ils étaient victimes ". 
                    Dénonçant la volonté d'extermination elle souligne que Vichy est au courant du sort réel des déportés.
                    • Au matin du 26 août, en zone occupée, le 24e convoi qui quitte la gare du Bourget compte 1.002 Juifs, dont 365 ont moins de 15 ans. Destination Auschwitz...

                    En zone libre, la grande rafle est lancée depuis 4-5 heures du matin...
                    Le 28 août, le pointage du ministère de l'intérieur fera état de 6.584 arrestations...
                    Les préfets recevront des le 27 puis le 31 août des consignes rappelant que les enfants de 2 à 16 ans doivent être arrêtés avec leurs parents.

                    • Le 30 août, Bousquet reproche aux préfets l'écart entre les Juifs recensés et ceux qui ont été arrêtés. 
                    Aussitôt, de nouvelles opérations policières seront intensifiées entraînant l'arrestation de 1.041 Juifs regroupés au camp de Rivesaltes avant leur transfert à Drancy.

                    L'évêque de Montauban, Mgr Pierre-Marie Théas (1894-1977), ville où est né Bousquet, fera lire dans toutes les églises de son diocèse ce dimanche 30 août une lettre pastorale dénonçant la rafle, les mesures antisémites prises étant " un mépris de la dignité humaine, une violation des droits les plus sacrés de la personne et de la famille ".

                    Le 30 août encore, les présidents de la Chambre des députés et du Sénat, signent une lettre indignée  au Grand Rabbin de France :
                    Devant les mesures qui viennent d'être infligées en zone libre comme en zone occupée aux Israélites proscrits de leur pays qui avaient trouvé asile dans le nôtre, devant la barbarie du traitement que subissent leurs enfants, c'est de l'horreur qu'on éprouve ".

                    Huit jours plus tard, sept convois seront organisés avec 5.259 Juifs arrêtés en zone libre.
                    Ajoutés au 4.613 Juifs de zone libre des cinq convois entre le 7 et le 25 août, ce sont donc pas moins de 9.872 Juifs de zone libre qui ont été remis par Vichy, en moins d’un mois.
                    Ces déportations depuis la zone Sud de la France furent les seules en Europe depuis un territoire qui n’était pas occupé par les troupes allemandes.

                    Dans l'Ain, " ces opérations se sont déroulées dans l'ensemble sans incidents graves "
                    700 JUIFS SAUVES PAR LE RABBIN ROBERT MEYERS
                    Robert Meyers (1898-1943). Photo Yad Vashem

                    A Annecy (Haute-Savoie), le rabbin Robert Meyers, 44 ans, aumônier des Groupes de Travailleurs Etrangers, est parvenu à se procurer la liste des 700 Juifs étrangers du département dont l'arrestation est prévue dans la nuit du 25 au 26 août 1942. 
                    Avec sa femme Suzanne-Esther, il réussira à prévenir la plupart des personnes et la gendarmerie n'arrêtera qu'une quarantaine de Juifs étrangers.
                    Beaucoup seront exfiltrés en Suisse et l'évêque d'Annecy, Mgr Auguste Cesbron fera cacher de nombreuses familles dans des couvents.
                    Le rabbin sera convoqué par le préfet et en octobre il se voit refusé l'accès à la prison d'Annemasse où il rend souvent visite aux internés. Alors qu'il proteste auprès de la préfecture, il est menacé d'arrestation. La Gestapo l'arrêtera le 28 décembre 1942 avec Suzanne-Esther et ils seront déportés par le convoi n°48 dans la nuit du 12 au 13 février 1943.
                    Dans " L'Eglise de France face à la persécution des Juifs  (CNRS, 2012) : l'action du rabbin Meyers à Annecy (Books Google) p. 353, Sylvie Bernay souligne qu'il s'agit de l'action de sauvetage la plus spectaculaire lors de la rafle du 26 août 1942.


                    Les deux fils du rabbin, Marcel et Alexis, passés en Suisse, seront sauvés. Jean-Pierre Meyers, petit-fils du rabbin, est l'époux de Françoise Bettencourt-Meyers.

                    Lire aussi, à propos du rabbin Meyers "Les interventions de Léo Israelowicz" et "Hommes de Dieu dans la tourmente - L'histoire des rabbins déportés" (Paul Lévy, Safed éditions 2006), p. 394-395.

                    Ressources documentaires 

                    Le site Jewishtraces

                    Le blog de l'historien-rabbin Alain Michel 

                    Mgr Jules Saliège Compagnon de la Libération

                    AKADEM : les rafles en France

                    Le cas particulier de la Corse (Corse-Matin du 4 juillet 2013)

                    Pourquoi le Consistoire n'a pas réagi contre l'étoile jaune

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                    Jacques Helbronner 1873-1943 (dr)

                    Lorsque la 8e ordonnance allemande du 29 mai 1942 instaure l'étoile jaune en zone occupée, on peut s'attendre à une réaction du Consistoire central. 

                    Or, l'institution chargée de l'organisation du culte ne protestera pas. 

                    L'étoile jaune, nouvelle étape ignoble de la répression antisémite,succédait aux statuts des Juifs d'octobre 1940 et de juin 1941, aux recensements, aux rafles, aux décisions allemandes d'élimination des Juifs de la vie économique, et au premier convoi de déportés pour Auschwitz du 27 mars 1942. Le silence du Consistoire est d'autant plus lourd qu'il tranche avec la multitude de réactions émises depuis 1940. 

                    Une tentative d'explication s'impose. 

                    Aucun document vraiment explicite ne ressort des archives, dans l'état actuel des recherches historiques. Comment interpréter ce silence qui peut paraître surprenant de la part de l'instance communautaire chargée de représenter les Juifs de France ?

                    A maintes reprises, contre les législations discriminatoires de Vichy, le Consistoire central avait solennellement réagi, multipliant actions et contacts au plus haut niveau de l'Etat et du gouvernement. Les réponses de Pétain "furent polies mais insignifiantes" notent Michaël R. Marrus et Robert O. Paxton, dans " Vichy et les Juifs " (Biblio Le Livre de Poche, 2004, p. 126)
                    Replié à Lyon après l'invasion allemande de juin 1940, le Consistoire continua d'exercer son rôle devant les pouvoirs publics. Un rôle renforcé, à partir de mars 1941, par la présidence de Jacques Helbronner, qui succédait à Robert de Rotschild, réfugié à New-York.
                    Jacques Helbronner, avocat, fils d'avocat, né en 1873, entré au consistoire de Paris en 1906, a été membre de l'état-major de Paul Painlevé, ministre de la Guerre. 
                    Conseiller d'Etat mis à la retraite, proche des milieux d'affaires et du monde politique, "ami" de Pétain, il est un authentique "Juif d'Etat", un " Fou de la République ", pour reprendre les qualificatifs utilisées par Pierre Birnbaum. (1)
                    Sacrifice et résignation

                    Contre l'avalanche des mesures antisémites, le Consistoire réagira par devoir mais à la lecture des protestations, on sent Jacques Helbronner et ses amis, dépassés par les événements. Leur stratégie, liée au sacrifice et à la résignation, seront un échec. Leurs voix seront de moins en moins entendues face à la lâcheté de Vichy et à la puissance des nazis. Au fil des mois, on mesure son impuissance et son isolement face à l'acharnement. Rétrospectivement, il paraît facile d'émettre ce jugement mais indéniablement, le piège s'est refermé sans que l'institution ait pu influer de quelque sorte contre la politique de collaboration et la " Solution finale ", comme l'a montré la suite tragique des événements.
                    Chronologiquement, voici les principales réactions du Consistoire :

                    Isaïe Schwartz (photo Klein)
                    22 octobre 1940 : contre le premier statut des Juifs d'octobre 1940, le grand rabbin Isaïe Schwartz proteste auprès du chef de l'Etat, estimant qu'il s'agit de "l'atteinte la plus grave à la liberté de conscience". (Alliance Israélite Universelle, CC-32, et CDJC-CCXIII-4_001)
                    Pétain répond le 12 novembre 1940 en faisant appel au "sacrifice": "vous m'avez fait part de l'émotion qu'éprouve la communauté israélite de Paris à la suite de la loi portant statut des Juifs. L'obéissance à la loi est un des principes essentiels de tout Etat et une des conditions indispensables au redressement de la France que je poursuis, vous le savez, de toutes mes forces, en faisant appel au dévouement et, si besoin est, à l'esprit de sacrifice de tous mes concitoyens dans quelques situations qu'ils se trouvent placés. Je suis heureux de constater que vous êtes animés de ces mêmes sentiments et je vous remercie de les avoir exprimés ... » (CDJC-CCXIX, 114). 
                    Des propos en vérité très hypocrites, Pétain ayant rayé de sa main les " Juifs nés français ou naturalisés avant 1860 " du projet de statut, comme le montre le document authentifié en 2010, déposé au Mémorial de la Shoah.
                    Le grand rabbin Schwartz rencontrera Pétain le 15 mars 1941. Dans un courrier du 30 mai, il reprend cette notion de "sacrifice" et demande que les mesures en préparation soient effectivement présentées comme "un sacrifice et une rançon exigée par les pressions extérieures". (CDJC-XXXI-48)
                    Toujours bienveillant envers Pétain, Jacques Helbronner, encore vice-président, prône la résignation. Il demande au Consistoire réuni le 2 décembre 1940 "d'accepter en silence les mesures qui nous frappent, sans rien faire qui puisse gêner l'oeuvre de redressement patriotique entreprise par le chef de l'Etat, en présence d'une défaite sans précédent dans l'histoire de la France ". (AIU, CC 15)

                    A l'approche du second statut des Juifs (2 juin 1941), Jacques Helbronner réclame à Xavier Vallat, Commissaire général aux Questions juives, des "aménagements" en faveur des anciens combattants. Lors de leur rencontre du 7 avril, Vallat se veut confiant, prétendant pouvoir sauver les quatre cinquièmes des familles juives françaises. 
                    Helbronner estime alors l'entretien "charmant et cordial, collaboration confiante, promesses favorables "(cité par Simon Schwarzfuchs, " Aux prises avec Vichy ", Calmann-Lévy, 1998. p. 102). Mais, le 30 mai, Vallat informe Helbronner que les autorités allemandes ont refusé d'intégrer dans le nouveau statut les critères des trois générations et les exemptions pour les anciens combattants...
                    Au fur et à mesure que les mesures anti-juives s'accumulent, le Consistoire va durcir sa position :  

                    26 avril 1941 :une ordonnanceallemande évince les Juifs de zone occupée de la vie économique. 
                    14 mai 1941 : première arrestation massive de Juifs étrangers de zone occupée (3700 personnes, essentiellement des Polonais, transportées dans les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande).  
                    19 mai 1941 : attentat contre la synagogue de Marseille.
                    15 juin 1941 :deux semaines après le second statut, Jacques Helbronner estime que sa dignité et celle du judaïsme français tout entier lui imposent de “mettre fin aux relations qu'il entretenait avec les pouvoirs publics". Un changement d'attitude s'amorce, mais la confiance est encore là.
                    30 juin 1941 :Helbronner remet personnellement au maréchal un texte signé du grand rabbin et des 43 membres du Consistoire central protestant contre le nouveau statut. Les signataires se déclarent encore "convaincus que les mesures d'exception collectives prises à l'égard des Français israélites ne peuvent pas avoir emporté l'adhésion, même tacite, du gouvernement français ". (CDJC-LXXII-2)
                    1er juillet 1941 :Helbronner écrit de nouveau à Pétain pour dénoncer cette loi qui "ne vise pas les israélites en tant que Français ou étrangers, mais, à l'imitation servile de l'autorité occupante, ne connaît ou ne reconnaît plus qu'un troupeau juif où la nationalité, même française, n'est plus qu'un accessoire sans valeur ni portée ". (CDJC-CCXIX-110_002 et CDJC-LXXII-2)
                    7 septembre 1941 :Helbronner donne lecture au Consistoire de sa réponse à Xavier Vallat qui, sur ordre du maréchal, l'avait invité à présenter une demande de dérogation au statut des Juifs. Sa lettre de refus est applaudie par ses collègues, mais il reconnait que la politique d'entente avec les pouvoirs publics qu'il avait préconisée a totalement échoué. 

                    Opposition à l'UGIF 
                    Jacques Helbronner repart à l'offensive à l'occasion de la création de l'UGIF (Union générale des Israélites de France). Il rédige un contre-projet de loi, présenté le 19 octobre 1941, à l'assemblée du Consistoire où, faisant le bilan de ses actions, il dit vouloir "sauvegarder l'honneur du judaïsme français" et il estime qu'en raison de la loi de Séparation de 1905, la loi "risque d'ouvrir en France une ère de persécution religieuse". (CDJC-CCXIII-6_002)
                    Consistoire-UGIF : la question de la légitimité est posée et Michel Laffitte (dans “ Juif dans la France Allemande “ - Tallandier, 2006, p. 48) rappelle les relations conflictuelles et le fossé intellectuel entre Jacques Helbronner et Raymond-Raoul Lambert, le président de l'UGIF. Un point de vue partagé par Sylvie Bernay (dans L'Eglise de France face aux persécutions des Juifs - CNRS Editions, 2012, p.263) notant que le Consistoire central redoute " de perdre son rôle de représentation auprès du gouvernement ".
                    29 novembre 1941 : la loi instaurant l'UGIFsera effectivement un rude coup pour le Consistoire qui voit sa représentation confessionnelle remplacée par une représentation raciale. Ilperd aussi le contrôle des oeuvres de bienfaisance, dissoutes (lettre du 13 novembre de Lavagne, chef du cabinet civil de Pétain indiquant qu'il transmet au CGQJ les inquiétudes d'Helbronner concernant le projet de dissolution des associations de bienfaisance CDJC-CCXIII-7_001. Lettre du 24 novembre 1941 où Lavagne indique que le CGQJ n'a pas voulu envoyer l'étude du projet de création de l'UGIF au Conseil d'Etat, mais il assure Helbronner de continuer les démarches pour "faire revoir le projet et l'amender"CDJC-CCXIII-9_001).

                    Le Conseil de l'Association des rabbins de France rejette la loi estimant la séparation, entre les associations cultuelles et l'Union générale "opposée aux principes et aux traditions du judaïsme" (...) "Si elle doit être respectée comme loi d'Etat, elle ne peut être acceptée librement par les Israélites ". (CDJC-CDXX-12, séance du 7 décembre 1941)
                    Consistoire et UGIF se retrouvent en concurrence directe et l'institution réagit. 
                    7 décembre 1941 :le Consistoire stipule qu'il "est impossible aux membres des comités des oeuvres d'accepter les fonctions de membres du CA de l'Union "(CDJC-CCXIII-10). 
                    Lors de son procès, fin 1947, Xavier Vallat rappellera la motion du 18 janvier 1942 où la délégation permanente du Consistoire blâmait ses membres qui avaient accepté d'entrer dans le conseil de l'UGIF (CDJC-LXXIV-7, p.12)
                    8 décembre 1941 :dans un courrier à Pétain, Jacques Helbronner demande "d'arrêter cette campagne de haine " contre les Juifs. 
                    "Le régime cruel et inique que les autorités occupantes nous ont imposé depuis plus d'un an frappe de plus en plus injustement tant de Français de religion israélite que vous m'excuserez si je viens aujourd'hui adresser au chef de l'Etat, au père de la patrie, et à lui seul, un appel pathétique en faveur de tant de malheureux privés de leurs droits de citoyens (...) Ces persécutions ne prendront-elles jamais fin ? (...) Ne craignez-vous pas qu'en imposant à la France une législation si contraire à ses traditions et à son génie, nos ennemis n'aient en réalité poursuivi l'humiliation de notre patrie en nous infligeant, après une défaite militaire, une véritable défaite morale ?"
                    Monsieur le Maréchal, je vous en supplie, arrêtez cette campagne de haine : elle est affreuse, elle augmente injustement les souffrances des Français qui pleurent avec vous les malheurs de la patrie. Ces hommes croient en Dieu, en sa justice éternelle... Croyez, Monsieur le Maréchal à mon dévouement fidèle et à ma persistante et respectueuse affection “. (CDJC-CCXIX-113_001)
                    Trois jours plus tôt, le 5 décembre, un attentat visant des soldats de la Wehrmacht, les représailles seront terribles : exécution de cent otages, amende d'un milliard pour les Juifs de Paris, et déportation de mille Juifs et cinq-cents communistes. La rafle du 12 décembre 1941 touche 743 notables juifs français.
                    Jacques Helbronneret le grand rabbin Schwartz, incarnant inlassablement la permanence "morale" de la représentation Juive, demandent audience à Pétain le 19 décembre
                    Ilsrencontrent le cardinal Gerlier, le primat des Gaules, et l'implorent de réagir (le cardinal Suhard promet son aide au grand rabbin de Paris, le 22 décembre 1941, et le pasteur Boegner, de la Fédération des Eglises protestantes, interviendra auprès de Vichy. 
                    La conférence épiscopale, réunie les 12-13 février 1942 à Lyon, apportera aussi son soutien au Consistoire).
                    27 mars 1942 : nouveau coup de semonce, avec le premier convoi de 1112 Juifs parti de Compiègne pour Auschwitz. 
                    19 mai 1942 :Jacques Helbronner écrit à Laval : "Le Consistoire central estime aujourd'hui indispensable de vous adresser respectueusement une protestation solennelle contre les mesures cruelles prises en zone occupée contre les israélites par les autorités allemandes, en dehors de toute loi française ou d'ordonnance réglementaire des autorités d'occupation (...) Cette protestation vise nos malheureux coreligionaires internés dans les camps de Compiègne et de Drancy qui, même citoyens français, souvent anciens combattants notoires, titulaires des plus belles distinctions nationales, viennent d'être déportés vers l'Allemagne, dans des conditions lamentables et infamantes et au mépris de tout principe d'humanité la plus élémentaire. Ils étaient pris comme otages et aucun d'eux n'était poursuivi pour avoir accompli une faute personnelle (...) Vous comprendrez notre émotion et l'appel que nous faisons à votre justice pour vous supplier de faire ce qu'il vous sera possible pour que soit rapportée une mesure aussi contraire au droit des gens qu'à l'honneur national.
                    Devons nous donc penser que les Français de confession israélite sont définitivement mis hors la loi et qu'on peut les frapper en raison de leur foi religieuse, comme s'ils avaient commis les plus grands crimes ? " (...) " Le statut de juin 1941 est déjà en soi une législation d'exception, contraire à tous les principes du droit français et à l'union que le Maréchal n'a cesser de préconiser entre toutes les confessions et les races de l'Empire, il est assez cruel pour que les autorités occupantes ne viennent pas encore l'aggraver par des persécutions odieuses qui révoltent le coeur des Français qui les connaissent ". (Archives du Consistoire, BCC 10-11)
                    Résignation face à l'étoile jaune ?
                    Dix jours plus tard, la 8e ordonnance allemande est promulguée.  
                    Le Consistoire central s'abstiendra de prendre position sur l'instauration de l'étoile jaune. 
                    Ce silence résigné peut s'expliquer par le contexte particulier de cette période: repliés en zone non occupée, à Lyon, ses dirigeants sont " coupés " de la réalité parisienne. 
                    Ils n'ont pas vécu directement l'humiliation de l'étoile qui touchait aussi bien les Juifs français que les apatrides et les étrangers. 
                    Pour Alain Michel, rabbin et historien (auteur de "Vichy et la Shoah - Enquête sur le paradoxe français" CLD 2012), ce silence s'explique par la question de la souveraineté, différente entre zone nord et sud : "Le consistoire central sait très bien que Vichy n'exerce une responsabilité directe qu'en zone sud où Vichy a justement refusé l'extension de la mesure de l'étoile ". 
                    L'historien précise que M° Kieffe, pour le consistoire, et Jardin, pour Laval, ont commencé des négociations pour envisager de transférer des juifs étrangers de zone nord vers la zone sud. " Le consistoire n'a donc aucun intérêt à émettre une protestation publique puisque Vichy ne peut rien en zone nord, contrôlée par les allemands. En juin 1942, l'efficacité réside beaucoup plus dans la négociation qui perdra de son objet lorsque début juillet Vichy proposera aux allemands la protection des juifs français de la zone nord contre la déportation des juifs apatrides de zone sud".
                    S'agissant d'une ordonnance allemande, la crainte des représailles peut aussi justifier l'absence de réaction directe. D'ailleurs, pour chaque ordonnance allemande, le Consistoire n’intervenait pas ou modestement par la « voix » très discrète de Vichy.
                    Le contraste est flagrant avec la réaction émise quelques mois plus tard, contre une autre mesure humiliante, mais française. 
                    La loidu 9 novembre 1942 imposait le tampon "JUIF" sur les cartes d'identité et d'alimentation en zone sud. Là, Helbronner et le grand rabbin Schwartz protesteront vivement auprès de Laval (courrier du 30 décembre), exprimant " leur indignation contre une mesure qui tendait à soumettre à une humiliation nouvelle une catégorie de citoyens français contre une obligation vexatoire venant s'ajouter à tant d'autres". (AIU, CC-24)
                    Le Consistoire a dû également tenir compte de la position de l'UGIF qui feracampagne pour l'étoile, incitant même les Juifs "à porter l'insigne dignement et ostensiblement ". Une attitude relevée par Renée Poznanski, dans "Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale", p. 292. (2)
                    Le n° 25 du Bulletin de l'UGIF, daté du 10 juillet 1942 - quelques jours avant la rafle du Vél d'Hiv - publie en première page un " avis important concernant l'étoile " mentionnant l'infraction "que constitue toute tentative de la dissimuler même partiellement".
                    Le rabbin Isaac Schneersohn, fondateur du Centre de documentation juive contemporaine, en avant-propos au livrede Léon Poliakov, " L'Etoile Jaune " (Editions du Centre, Paris 1949), qualifie l'étoile d'" inexorable recensement deplus, un recensement "visuel", auquel beaucoup de Juifs, par lassitude ou absurde confiance, succombèrent".
                    Y-a-t-il eu un choix délibéré de la résignation ? 
                    Déjà confronté aux statuts des juifs, le grand rabbin Schwartz, malgré ses protestations officielles, prônait une attitude résignée auprès de la communauté juive : 
                    "... Quelle que soit votre amertume et sans rien accepter de ce qui vous a mis hors de la loi commune, subissez régulièrement les obligations qui vous sont faites par les lois, décrets, arrêtés et règlements du gouvernement français, en en appelant dans votre conscience de la France contrainte et meurtrie d'aujourd'hui, à la France généreuse et libre de toujours. Ne cachez pas votre qualité d'Israélites... Soyez renseignés et en règle avec les lois, ne vous cachez pas d'être ce que vous êtes. Soyez simples et modestes. Vous n'en serez que meilleurs Israélites et meilleurs Français ... " (3)
                    Une attitude rabbinique à rapprocher peut-être du Talmud qui professe que l'homme est tenu de bénir Dieu aussi bien pour le bonheur que pour le malheur (le tsidouk hadin ou acceptation de la justice divine). Et c'est encore le Talmud qui énonce le principe "dina demalkhouta dina - la loi du royaume est la loi ".

                    12 juin 1942 : Le président Helbronner reste fidèle à son attitude protestataire car lesarchives du Consistoire conservent une lettre de Jacques Helbronner à Laval, écrite moins de deux semaines après l'introduction de l'étoile le 29 mai.
                    Il écrit : " La France va-t-elle donc connaître la honte d'être une terre de pogroms et les principes de justice, de liberté des croyances et des cultes, de respect de la personne humaine, qui ont été si longtemps la personnalisation de son idéal, vont-ils être désormais méconnus à l'égard des personnes françaises ou étrangères que réunit uniquement le seul lien religieux ?" (Archives du Consistoire, BCC 19, dossier 19 a). 
                    Le même jour, un autre courrier à Laval, concernait les violences perpétrées contre la synagogue de Nice. (CDJC-CCXIX-111_001 )

                    Contre l'étoile, seulement une réaction "en interne"

                    30 juin 1942 :Le Consistoire central réagira contre l'étoile, mais une réaction émise seulement en interne, évoquant les "persécutions", dans une lettre à ses délégations régionales (AIU, CC 17, citée par Eric Alary dans " La ligne de démarcation ", Perrin 2003).
                    Il développe l'idée d'un transfert inter-zones des familles juives françaises demandé au gouvernement dès le 3 juin, et évoque pour la première fois l'étoile jaune
                    "Il paraît utile de préciser que cette requête a été présentée dans le dessein de préserver les Israélites de la zone occupée, des persécutions que constituent le port de l'Etoile, et ses répercussions. Aussi bien ne saurait-il s'agir, selon nous, d'une évacuation obligatoire mais d'une faculté d'évacuation accordée à ceux des Israélites qui en manifesteraient le désir. Une évacuation obligatoire serait une nouvelle persécution (...) Seraient tout particulièrement frappés ceux d'entre eux qui, réintégrés depuis longtemps à la Communauté française, attachés à la terre, à l'usine, à leur atelier d'artisan, remplissent en silence leur tâche quotidienne, supportant sans fléchir les vexations qui, sous le régime d'occupation leur sont infligées ".
                    (L'occupation de toute la France, à compter du 11 novembre 1942, ruinera cet espoir, refusé officiellement le 14 août 1942 - AIU, CC-6).
                    13 juillet 1942 : Jacques Helbronner et Isaïe Schwartz écrivent à Laval pour qu'il intervienne « auprès des autoritésd'occupation» en vue du rétablissement, « de conditions de vie plus supportables et plus humaines» pour les internésdu camp de Drancy. (CDJC-CCXIII-1_001)
                    16-17 juillet 1942 : la rafle du Vel'd'Hiv (arrestation de 13 152 juifs étrangers dont 4 115  enfants) viendra s'ajouter à l'horreur et dans la nuit du 20 au 21 juillet, un attentat frappe la synagogue de la rue de la Victoire. (CDJC-CCXXI-43 )
                    Il ne s'agit plus de protester contre l'étoile et le Consistoire, réuni le 27 juillet, s'inquiète du sort des mères et des enfants arrêtés. 
                    28 juillet 1942 : Jacques Helbronner adresse une nouvelle missive solennelle à Laval (qui refusera de le recevoir en audience mais qui recevra André Baur, vice-président de l'UGIF le 3 août), où il est question de "restrictions infamantes aux libertés": "Le consistoire central a été profondément ému par les informations qui lui parviennent de zone occupée sur la situation des israélites français et étrangers. De nouvelles restrictions très graves et infamantes ont été apportées à leur liberté (...) Considérant que le devoir primordial de tout Etat civilisé est de sauvegarder les biens, la liberté, l'honneur et la vie de ses citoyens et de protéger les étrangers qui ont régulièrement reçu hospitalité sur son territoire, adresse une nouvelle et plus solennelle encore protestation au gouvernement français contre des persécutions dont l'étendue et la cruauté atteignent un degré de barbarie que l'histoire a rarement égalées, l'adjure de tenter encore, par tous les moyens, de sauver des milliers de victimes innocentes auxquelles aucun autre reproche ne peut être adressé que celui d'appartenir à la religion israélite." (CDJC-CCXIX-94_002)

                    Les contradictions de l'UGIF 

                    De son côté, l'UGIF paraît animée de sentiments contradictoires vis-à-vis du "marquage" des Juifs par l'étoile. D'un côté elle encourage son port et participe activement à sa fabrication et à sa diffusion, et de l'autre, elle s'en inquiète : le 30 juillet, le cardinal Suhard, archevêque de Paris, répond à André Baur, pour soutenir ses démarches visant à restreindre le "marquage", à l'instar de l'application de l'ordonnance en Belgique et au nord de la France, où sont exemptés les conjoints d'aryens, ainsi que pour les couples mixtes. (Fonds Suhard, 1 D XIV-15 lettre au secrétaire du cardinal , l'abbé Le Sourd). 
                    Michel Laffitte (“ Juif dans la France Allemande “ p.141) estime qu'"il y a là un paradoxe qui mérite d'être expliqué ".

                    L'indignation face aux déportations
                    Le rythme des déportations s'accélère : 22 convois sont déjà partis pour Auschwitz. 
                    23 août 1942 :le Consistoire, averti de l'imminence de la grande rafle prévue dans toute la zone libre, tient une séance extraordinaire. 
                    Solennel, le vice-président Adolphe Caen, en l'absence de Jacques Helbronner, souffrant, déclare : "l'heure que nous vivons est peut-être une des plus tragiques qu'ait connue le Consistoire Central au cours de son histoire".
                    Une énième et ultime motion de protestation est rédigée contre les déportations et le voeu est exprimé d'obtenir une audience auprès de Laval
                    La protestation adressée au chef du Gouvernement, sur plus de trois feuillets, datés du   25 août 1942, commence ainsi :
                    "Le Consistoire central des Israélites de France, conscient du devoir de solidarité religieuse qui lui incombe, exprime auChef du Gouvernement, l'indignation que lui inspire la décision prise par le Gouvernement Français de livrer auGouvernement Allemand des milliers d'étrangers de diverses nationalités, mais tous de religion israélite, résidant enzone non occupée et qui s'étaient réfugiés en France avant la guerre, pour fuir les persécutions dont ils étaient victimes". 
                    Le texte évoque l'extermination des déportés voulue par le Chancelier du Reich... (CDJC-CCXIII-15_001). 
                    Une commission, réunie le lendemain, décide de diffuser largement la motion : au maréchal, au Nonce du Pape, au pasteur Boegner, au président de la Croix-Rouge, aux prélats, ministres, préfets, journalistes...

                    Le lendemain, 26 août, le convoi n° 24 quitte Drancy avec 1002 Juifs. Cinquante et un autres convois suivront jusqu'au 23 juillet 1944...
                    Dès l'aube du 26 août, la grande rafle de la zone libre entraînera l'arrestation et la déportation vers Auschwitz de 6.584 Juifs...

                    Dans sa lettre pastorale du 4 septembre 1942, à l'occasion de Roch Hachana 5702, le grand rabbin Schwartz rappelle que "l'année finissante sera tristement célèbre dans les annales du judaïsme français. Commencée dansl'angoisse, elle se termine dans la douleur ". Il évoque bien les " funestes effets du statut ", mais ne dit rien sur l'étoilejaune. (CDJC-CCXIX-88)
                    Le grand rabbin Schwartz rencontre Pétain le 23 février 1943 après la rafle de Marseille du 22 janvier (2000 Juifs, français et étrangers, arrêtés). 
                    Il était alors question d'imposer l'étoile jaune en zone Sud.
                    Paul Estèbe, chef adjoint de cabinet du maréchal, rappelle les propos de Pétain : "Tant que je serai vivant, je n'accepterai jamais que cette ignominie qu'est l'étoile jaune soit appliquée en zone Sud ".
                    Le maréchal aurait dit à la fin de l'entretien : "Priez pour moi afin que je viveassez longtemps pour voir la fin de ce drame". Et legrand rabbin de répondre : "Monsieur lemaréchal, il est d'usage dans nos synagogues de prier chaque samedi pour le chef del'Etat". (4)
                    Et Isaac Schneersohn, toujours dans son avant-propos à " L'Etoile Jaune " de Poliakov, d'apporter ce commentaire : "Dans la zone libre, si Vichy s'opposa au port de l'étoile, il accepta cependant – d'après sa méthode de molle résistance,aussitôt rachetée par des concessions hypocrites – le recensement supplémentaire, qui se fit sous la formed'estampillage des cartes d'identité et des cartes d'alimentation. Les Juifs de la zone libre n'avaient pas le mot Juifmarqué sur la poitrine, mais ils l'avaient sur leurs papiers."
                    Les protestations continuent, sans résultat :

                    12 juillet 1943 :Helbronner écrit à Laval pour qu'il intervienne suite à la détérioration des conditions d'internement à Drancy (CDJC-CCXIII-2_001). Le cabinet militaire de Pétain répond le 16 que le maréchal demande au chef du gouvernement d'intervenir auprès des autorités d'occupation pour "essayer d'obtenir une amélioration de la triste situation que vous signalez".
                    Le 2 août 1943, le grand rabbin Schwartz et Helbronner réitèrent leur demandeà Laval. D'autres courriers communs, à partir de fin 1942, concernent les persécutions, les arrestations dans l'ex-zone libre - nouvelle rafle de Marseille le 6 mai 1943, l'arrestation d'André Baur, le 21 juillet 1943 -. (CDJC-CMXXI-25)
                    23 octobre 1943 : les nombreuses protestations prendront fin avec l'arrestation de Jacques Helbronner à son domicile lyonnais, sur ordre de Berlin, alors qu'il se rend à Vichy pour dire une nouvelle fois son opposition aux mesures de répression et de déportation.
                    Avant d'être transféré au fort de Montluc, la Gestapo l'autorise à passer deux brefs appels téléphoniques. L'un au cardinal Gerlier, l'autre à Léon Meiss, vice-président du Consistoire.
                    Jacques Helbronner est transféré à Drancy le 11 novembre, avec son épouse. 
                    Ils porteront l'étoile jaune, imposée dans le camp, et le 20, ils sont déportés à Auschwitz par le convoi n° 62 où ils seront gazés dès leur arrivée.
                    Léon Meiss, ex-magistrat à Nancy, devenu président du Consistoire, menacé du même sort que son prédécesseur, se réfugie en Savoie et le Consistoire entre alors dans la clandestinité. 
                    A la Libération, il aura un rôle de conciliateur  avec ceux qui reprochaient à l’institution consistoriale de ne pas avoir rompu avec Vichy (dès le 13 août 1944, il préside une commission demandant la fermeture de l'UGIF - CDJC-CCXVI-155). 
                    La délégation parisienne estimait avoir été abandonnée par les dirigeants du Consistoire restés à Lyon, qui bénéficièrent de la sécurité relative de la zone libre, jusqu'en novembre 1942. Meiss est à l'origine du Comité de défense, qui, en janvier 1944, se transforme en Conseil représentatif des israélites de France, devenu Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). (5)

                    Thierry Noël-Guitelman (mars 2013)

                    Remerciements particuliers à M. Philippe Landau, conservateur des archives du Consistoire central.
                    Sources : Centre de Documentation Juive Contemporaine, Archives du Consistoire central, Alliance Israélite Universelle.
                    (1) Pierre Birnbaum : " Les Fous de la République. Histoire politique des Juifs d'Etat, de Gambetta à Vichy " (Fayard, 1992).
                    (2) Citant un rapport de l'une des employées bénévoles de l'UGIF (CDJC-CCXIV-5), " Portez l'étoile jaune avec fierté ", mot d'ordre déjà lancé par Robert Weltsch, éditeur du journal sioniste allemand de l'immédiat avant-guerre Judische Rundschau.
                    (3) Archives " Librairie of the Jewish Theological Seminary : New York ", citées par Maurice Rajsfus, " Des Juifs dans la Collaboration " - L'UGIF 1941-1944 " (EDI, 1980), p. 92.
                    (4) Cité par Raymond Tournoux : " Pétain et la France " (Plon, 1980) p. 305, et Raymond Aron : " Le Monde et la Vie " (février 1961). 
                    (5) Claude Nataf : " Les Cahiers de la Shoah " n°5 (2001) : Survivre à la Shoah - Exemples français : le judaïsme religieux au lendemain de la Libération : rénovation ou retour au passé ?

                    Qui sont les exemptés de l'étoile jaune ?

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                    29 mai 1942 - 29 mai 2017Soixante quinze ans après, l’étoile jaune mérite toujours de nouvelles recherches historiques.


                    "Le Matin" du 1er juin 1942
                    Le journal officiel allemand, le Verordnungsblatt für die besetzten französischen Gebiete, publié en France depuis le 4 juillet 1940, promulgue au printemps 1942 le texte de la 8e ordonnance, qui interdit aux Juifs de zone occupée, de paraître en public sans porter l’étoile jaune, dès l’âge de six ans.
                    Cette législation antisémite, entrée en vigueur le dimanche 7 juin 1942, sera maintenue jusqu’à la reddition allemande d’août 1944.
                    Elle constitue une rupture radicale avec ce que les Juifs français ont vécu jusqu’alors, l’objectif étant l’extermination de tout un peuple.

                    Du jamais vu depuis la série d’expulsions et de massacres locaux voulus pour des raisons politico-religieuses dans le royaume de France : 
                    En 1182, Philippe Auguste expulse les Juifs puis les rappelle en 1198. 
                    Nouvelle expulsion avec Saint Louis en 1254, puis Philippe le Bel en 1306, et expulsion définitive avec Charles VI en 1394. 
                    Parallèlement, l’antijudaïsme chrétien veut s’imposer face au pouvoir royal : en 1215, au Concile de Latran, le pape Innocent III ordonne aux Juifs de porter des vêtements distinctifs de ceux des Chrétiens...
                    En 1269, le roi Saint Louis, en fin de règne, instaure la rouelle. 
                    Philippe le Bel, Louis X et Jean le Bon, signeront des ordonnances de confirmation de ce signe distinctif.
                    En 1322, le pape Jean XXII expulse les Juifs d’Avignon et du Comtat Venaissin mais en 1326, il les rappelle en imposant taxes supplémentaires, conversions et la rouelle dès 14 ans pour les garçons, et le voile dès 12 ans pour les filles.
                    Le « marquage » des Juifs traversa les siècles mais en 1942, l’unique objectif recherché en France comme dans tous les territoires occupés est la « Solution finale », inventée par les nazis.

                    La longue histoire française antisémite est passée par l’affaire Dreyfus, l’Action française de Charles Maurras, le rejet du Front Populaire de Léon Blum, le statut des Juifs d’octobre 1940 de Philippe Pétain et la politique de collaboration de Vichy, le négationnisme d’après-guerre, la renaissance de l’extrême-droite, la guerre israélo-arabe

                    devenu conflit israélo-palestinien, la rumeur d’Orléans en 1969, l’attentat de la synagogue de la rue Copernic en 1980, etc. jusqu’au crime barbare perpétré contre Ilan Halimi en 2006...
                    L’antisémitisme reste une constante de l’actualité, pétrie d’une haine sans cesse distillée, au point que le Conseil représentatif des institutions juives de France estime que les actes antisémites sont devenus un « phénomène de masse » en recrudescence, avec en moyenne, deux actes antisémites par jour, pour 2015.

                    Cette haine retrouve un nouvel élan avec l’émergence du terrorisme islamiste.
                    En mars 2012, à Toulouse, la tuerie de trois jeunes enfants et du rabbin professeur Jonathan Sandler, est commise par Mohamed Merah, à l’école Ozar Hatorah.
                    En juillet 2014, à Sarcelles, des violences graves terrorisent toute une communauté, puis
                    le 1er décembre 2014, à Créteil, un jeune couple est pris pour cible.
                    Le point culminant de l’horreur sera atteint le
                    9 janvier 2015 avec la prise d’otages sanglante, revendiquée par l’Etat islamique, du magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes à Paris, entraînant quatre Juifs dans la mort.
                    Robert Badinter, ancien ministre de la Justice, évoquant ces assassinats le 15 janvier 2015 sur France Info, dresse ce constat lucide : «
                    l’on est au dernier degré de l’inhumanité quand on course, on poursuit un enfant juif, c’était pour Mérah une petite fille juive, qu’on arrête par les cheveux et qu’on abat d’un coup de feu. Ça, c’est le retour de ce qu’on a connu du temps des SS. Il y a une filiation directe pour moi entre ce qui est advenu dans l’hypermarché casher et la barbarie nazie ».
                    En janvier 2016, à Marseille, des Juifs coiffés d’une kippa sont victimes d’une agression mais succombant à la peur, le président du Consistoire de la cité phocéenne ira jusqu’à conseiller à ses coreligionnaires de ne plus porter dans la rue ce symbole religieux. Une position aussitôt désavouée par le grand-rabbin de France Haïm Korsia et le Consistoire central.
                    L’antisémitisme se nourrit désormais de l’antisionisme, affiché ouvertement par l’extrême gauche qui poursuit ses campagnes, pourtant jugées illégales, de boycott des produits israéliens.
                    La France est même le premier pays à relayer en novembre 2016 une directive européenne de 2015 obligeant l’étiquetage « colonie israélienne » sur les produits alimentaires issus du Golan et de Judée-Samarie.
                    On rajoutera à cet acharnement la participation honteuse de la France à la réécriture de l’histoire, lors de son vote en avril 2016, en faveur de la résolution de l’Unesco, niant les liens entre les Juifs et Jérusalem, suivie en octobre de son abstention confuse.


                    Soixante quinze ans après l’étoile jaune du printemps 1942, la France semble installée dans une forme de banalisation du phénomène antisémite.
                    Mais lutter contre l’antisémitisme passe aussi par l’allumage des lumières de l’Histoire.
                    Simone Veil, dans un discours prononcé en septembre 2003, lors de l’inauguration du Centre d’étude de l’Holocauste et du génocide d’Amsterdam, déclarait : «
                    Aujourd’hui que les témoins disparaissent, l’historien a la responsabilité, plus que jamais, de faire la lumière sur les événements dont certains aspects sont encore à analyser ».


                    Soixante quinze ans après, l’étoile jaune conserve sa part d’ombre et déchaîne toujours les passions.
                    Peu d’historiens ont étudié l
                    es rares exemptions accordées au port de l’étoile qu’il s’agisse de Juifs français ou étrangers.
                    Pourtant, des archives existent mais le sujet reste tabou car il fait référence à une forme de privilège qui, à l’époque, n’a fait qu’attiser l’antisémitisme d’Etat ambiant.
                    Enfouis dans la mémoire de ceux qui ont pu échapper à la Shoah, ces passe-droits accordés sont lourds de chantages, de trahisons, de compromissions et d’appuis aux plus hauts niveaux du régime de Vichy et des autorités d'occupation.
                    S’ils ont permis un répit dans la traque anti-juive, et l’élaboration de stratégies de survie, ils interrogent nos consciences en raison des conditions parfois troubles de leur obtention.
                    En cette date anniversaire, il n’est pas trop tard pour éclairer cette réalité dérangeante, pour en savoir plus sur les exemptés de l’étoile jaune. 


                    Thierry Noël-Guitelman

                    Qui sont les protégées du Maréchal Pétain ?

                    Qui sont les protégées du Maréchal Pétain ?

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                    Le dimanche 7 juin 1942, entrait en vigueur la 8e ordonnance allemande instaurant le port de l’étoile jaune. (1)

                    Cette nouvelle législation survient deux mois après le premier convoi de Juifs français vers Auschwitz le 27 mars 1942, et un mois et demi avant la rafle du Vél d'Hiv du 16 juillet.
                    Désormais, le Magen David, jusqu’alors symbole protecteur du judaïsme, désignait publiquement les « coupables »...
                    Ce « marquage » à l’étoile jaune, « portée bien visible sur le côté gauche de la poitrine, solidement cousue sur le vêtement », pour reprendre le texte de l’ordonnance, restera le symbole suprême de la discrimination, de l'exclusion et de l'humiliation,
                    « L’étoile juive » - terme utilisé dans l’ordonnance - a d’abord été instaurée en Pologne au 1er décembre 1939, sous forme d’un brassard, puis en Allemagne au 1er septembre 1941, aux Pays-Bas en avril 1942 et en Belgique au 1er juin 1942.
                    En France occupée, le texte de cette législation est signé par le commandant militaire Carl-Heinrich von Stülpnagel. 

                    83.000 étoiles distribuées

                    Quelque 115.000 Juifs recensés en 1941 en zone occupée, seront concernés (on compte alors 330.000 juifs pour toute la France métropolitaine). Or, jusqu’au 17 juin 1942, seulement 83.000 étoiles seront distribuées dans les commissariats par la police française, en échange d'un point textile prélevé sur les cartes de rationnement. (2)

                    D'où vient cette différence ? 
                    Heinz Röthke (1912-1966), adjoint du chef de la section IV J de la Gestapo à Paris, chargé de la « Question juive » (qui dirigea le camp de Drancy du 16 juillet 1942 au 2 juillet 1943) donne ses explications dans un point statistique daté du 19 juin : des Juifs s'étaient réfugiés en zone libre, d'autres avaient déjà été déportés, d'autres encore n'avaient pas récupéré leur étoile, ou faisaient partie de nationalités dispensées. (3) 

                    Ces dispenses collectives concernaient les Juifs ressortissants de pays en guerre contre l'Allemagne (Grande- Bretagne, Etats-Unis, Canada, états ennemis d’Amérique centrale et du sud). Elles interviendront « pour éviter les représailles contre les ressortissants allemands » justifiait Théodor Dannecker (1913-1945), chef à Paris de la section IV J de la Gestapo jusqu’en août 1942. 
                    Également dispensés, les Juifs de pays neutres comme la Suisse, l'Espagne, le Brésil, et les pays alliés de l'Allemagne, l'Italie, la Grèce, la Turquie, la Hongrie (jusqu'au 16 juillet 1942), la Bulgarie (jusqu'au 4 septembre 1942). (4)
                    Par contre, le général Carl Oberg (1897-1965), chef supérieur de la SS et de la Police, précisera que le port de l’étoile concernait aussi les Juifs ressortissants de Hollande, de Pologne, des territoires occupés à l’Est, la Slovaquie, la Croatie, la Roumanie, la Belgique, la Yougoslavie et les Juifs apatrides, mesure appliquée à compter du 15 juin au camp de Drancy. (5)
                    La décision de ne pas faire mention de ces dispenses spéciales dans le texte de l’ordonnance sera prise le 5 mai 1942, au cours d’une réunion de préparation. 

                    Elle réunissait l’ambassadeur d’Allemagne Otto Abetz (1903-1958) et le Dr Carl-Theodor Zeitschel (1893-1945), chargé des questions juives à l’ambassade.
                    Dans sa note récapitulative, Dannecker indique « qu’il a été convenu d’utiliser seulement le terme général « juif » dans le texte de l’ordonnance, sans faire apparaître les nationalités ». Au cours de cette réunion, il sera aussi convenu que les Juifs vivant en mariage mixte sont exemptés du port de l’étoile, si leurs enfants sont reconnus comme non juifs. (6)

                    9.837 étrangers dispensés

                    L’historien Léon Poliakov (1910-1997) - le premier qui travailla sur le fonds d’archives de la Gestapo, co-fondateur du Centre de documentation juive contemporaine -, s’appuyant sur des chiffres de la préfecture de police, précise que 9.837 étrangers ont pu bénéficier de ces dispenses (7.731 hommes et femmes, et 2.106 enfants) pour une prévision de Juifs astreints à l’insigne de 100.455 personnes (61.864 français et 38.591 étrangers). (7)
                    Ces différences entre étrangers dispensés compliqueront l’application de l’ordonnance, les nationalités concernées n’étant pas précisées.
                    Dans un rapport adressé au chef de la police de sûreté de la Gestapo, il est souligné que les milieux collaborateurs ne comprennent pas « pourquoi les Italiens, les Anglais et les Américains sont dispensés. On déclare qu’il est inexplicable qu’il existe encore des Juifs de nationalité anglaise et américaine qui se promènent en liberté en zone occupée ; sinon une telle règlementation serait superflue. Les juifs eux-mêmes qui sont touchés par l’obligation du port de l’étoile, pestent surtout contre les juifs turcs qui en sont dispensés ».

                    Le rapport demande « qu’on interdise l’entrée des grandes artères, des cafés, des restaurants, théâtres, et surtout la fréquentation des bains publics aux Juifs et qu’on mette fin à la discussion publique sur la question des exemptions du port obligatoire de l’étoile jaune ». (8)
                    A contrario des dispenses collectives, les exemptions relevaient de mesures exceptionnelles et individuelles, d’ailleurs prévues par l'ordonnance allemande : « lors de circonstances spéciales, dans l'intérêt du Reich, des dérogations à l'ordonnance peuvent être prévues dans des cas isolés ». (9)

                    La lettre de Pétain

                    Le 12 juin 1942, le Maréchal Pétain exprima personnellement des demandes d’exemption en faveur de relations mondaines féminines, nouées avant-guerre, dans un courrier adressé à Fernand de Brinon (1885-1947), son ambassadeur à Paris.


                    CDJC XLIXa-90a : la lettre de Pétain à Brinon
                    « Mon Cher Ambassadeur,

                    Mon attention vient d’être attirée à plusieurs reprises sur la situation douloureuse qui serait créée dans certains foyers français si la récente ordonnance des Autorités d’Occupation, instituant le port d’un insigne spécial pour les Juifs, était appliquée sans qu’il soit possible
                    d’obtenir des discriminations naturelles et nécessaires.


                    Je suis convaincu que les Hautes Autorités Allemandes comprennent parfaitement elles-mêmes que certaines exemptions sont indispensables : le texte de la 8e ordonnance les prévoit d’ailleurs. 
                    Et cela me semble nécessaire pour que de justes mesures prises contre les israélites soient comprises et acceptées par les Français.
                    Je vous demande donc d’insister auprès du Général Commandant les Troupes d’Occupation en France pour qu’il veuille bien admettre le point de vue que vous lui exposerez de ma part pour que M. le Commissaire Général aux Questions Juives puisse promptement obtenir la possibilité de régler par des mesures individuelles et exceptionnelles certaines situations particulièrement pénibles qui pourraient nous être signalées ».


                    Cette lettre de Pétain à son ambassadeur « le stigmatise autant que la poignée de main à Montoire. Loin de protester contre l’étoile jaune, il la rend, en quelque sorte, officielle, en demandant aux autorités allemandes d’admettre à son port des cas personnels d’exemption » commentera Justin Godart (ancien ministre, qui compta parmi les 80 parlementaires n’ayant pas voté les pleins pouvoirs à Pétain en 1940), dans sa préface au livre de Léon Poliakov, « L’étoile jaune ».
                    Une note en bas de page, du chef de la Gestapo Karl Bömelburg (1885-1946), précise qu'il pourra s'agir de 100 cas. 

                    Et le 17 juin, dans une note au général Oberg, Bömelburg dicte de façon quasi ironique, comment les demandes d'exemptions devront être formulées. La procédure se veut très précise : « L'ambassadeur qui, sans connaître la 8e ordonnance, s'est référé à la réserve des exceptions contenue dans le décret d'application, a été renvoyé au fait que ces exceptions se limitent aux étrangers cités dans le même paragraphe et non pas, ainsi qu'il est supposé dans la lettre du Maréchal à Brinon du 12 juin, qu'elles concernent les Français.
                    Brinon le communiquera au Maréchal et il fera le nécessaire pour que les demandes soient limitées à l'extrême, et il fera contresigner la liste des demandes par le chef du gouvernement Laval à la suite d'une suggestion officieuse de l'officier chargé de la liaison avec le gouvernement français afin que l'intérêt du gouvernement soit manifesté.
                    Le 22 juin, Brinon rapportera de Vichy la liste des demandes, classées d'après l'urgence et leur nombre, en y ajoutant l'identité exacte et les motifs détaillés.
                    Elle sera ensuite remise directement au chef supérieur des SS et de la police
                    ». (10)


                    Seulement trois demandes...

                    Le 3 juillet 1942, seulement trois demandes seront transmises à Brinon par Bernard Ménétrel (1906-1947), le secrétaire particulier de Pétain. (11)

                    Elles concernent les deux filles du baron Louis Stern (1840-1900), dirigeant de la banque Stern, et de son épouse Maria-Ernesta de Hierschel (1854-1926), plus connue sous le nom de Maria Star, son pseudonyme de femme de lettres.


                    La marquise Marie-Louise de Chasseloup-Laubat (1879-1964) : Née le 4 février 1879, Marie-Louise, Fanny, Clémentine, Thérèse Stern a épousé le 21 juillet 1900 le marquis Louis de Chasseloup-Laubat (1863-1954), fils de Prosper de Chasseloup-Laubat (1805-1873), député, conseiller d’Etat et ministre de la Marine.
                    Ils ont eu trois enfants : Madeleine (1901-1945), devenue par son mariage en 1923 princesse Achille Murat (neuf enfants naîtront de cette union, dont Salomé Murat qui épousa Albin Chalandon, ancien résistant, plusieurs fois ministre de la Ve république et dirigeant d’ElF-Aquitaine) ; le comte François de Chasseloup-Laubat (1904-1968), explorateur en Afrique, et Yolande (1907-1998), devenue baronne par son mariage en 1927 avec Fernand de Seroux, officier de cavalerie (1892-1968).


                    La baronne Lucie Ernesta Girot de Langlade (1882-1944) : Née le 20 octobre 1882, Lucie Ernesta Stern a épousé le 11 avril 1904, le baron Louis Charles Pierre Girot de Langlade (1869-1931), dont elle a eu un fils, Louis (1905-1982).
                    Les deux soeurs Stern se sont converties au catholicisme, respectivement en 1900 et 1911, et elles ont deux frères, Jean (1875-1962), banquier mais aussi escrimeur célèbre, champion olympique en 1908, et Charles (1886-1940), mécène et artiste-peintre.
                    Marie-Louise de Chasseloup-Laubat et ses enfants, peints par Rosina Mantovani-Gutty (1851-1943)



                    La baronne de Langlade devant son château, à Cuts (Oise) (Archives familiales)

                    La troisième personne est mentionnée par Ménétrel à la fin de sa missive : « Je pense qu’à ces demandes pourrait être jointe celle de Mme la Générale Billotte, dont je vous avais adressé la lettre reçue par le Maréchal, ainsi que la copie de la réponse que je lui ai faite ».


                    La veuve du général Billotte est née Catherine Nathan (1883-1965) : Fille de Ezra Nathan et de Rebecca Finkelstein, elle s’est mariée le 11 mai 1904 avec le général Gaston Billotte (1875-1940).
                    Ancien gouverneur militaire de Paris en 1937, il meurt accidentellement sur une route de Belgique, à l'issue d'une réunion destinée à couper l'offensive allemande de mai 1940. 
                    Leur fils, le général Pierre Billotte, qui le 25 août 1944 adressa un ultimatum au commandant du Gross-Paris, Von Choltitz, précèdera l’assaut de l’hôtel Meurice, quartier général allemand...

                    Le Maréchal Pétain, et son épouse Annie, connaissaient bien ces représentantes de la haute bourgeoisie, d’origine juive, des « Juifs français » déjà touchés de plein fouet par les premières mesures antisémites de Vichy.
                    Pétain fut le témoin du mariage, en 1927, de la baronne de Séroux, née Yolande de Chasseloup-Laubat, fille de la marquise. (12)

                    Pendant la Première Guerre Mondiale, le grand quartier général de Pétain se trouvait à Compiègne (Oise), d'avril 1917 à mars 1918, à moins de 30 km du château de Cuts, propriété de la baronne Girot de Langlade où le Maréchal participait à ses chasses.
                    Présidente de la Croix-Rouge de l’Oise, la baronne transforma son château en hôpital militaire en 1914. En 1917, les Allemands incendient le château qui sera reconstruit en 1926.


                    26 exemptions accordées


                    CDJC XXVa-164 - La note de Röthke
                    25 août 1942 : près de trois mois après la promulgation de la 8e ordonnance, une note « secrète » signée Heinz Rothke, chef du service juif de la SS de Paris, fait état de seulement 26 exemptions.
                    En tête de liste se trouve l’épouse de l'ambassadeur Brinon, la marquise Louise de Brinon, née Louise-Rachel Franck (1896-1982), cousine du journaliste Emmanuel Berl, qui rédigea les premiers discours de Pétain. L’exemption de Mme de Brinon est limitée à la propriété familiale, près de Biarritz, dans les Basses-Pyrénées. 
                    L’ambassadeur Abetz demandera à Brinon qu’il est souhaitable que sa femme y séjourne sans interruption au cas où elle ne réside pas en zone occupée. (13)

                    Suivent « trois exemptions sollicitées par le Maréchal Pétain » sans mentionner les noms des personnes bénéficiaires.
                    D’après les documents datés du 1er juin 1942, signés du SS Hagen, adressés à Brinon, trois certificats d’exemption sont délivrés en faveur de Mesdames de Brinon, de Chasseloup-Laubat et d'Aramon. (14)


                    > La comtesse Suzanne Bertrand de Sauvan d'Aramon est née en 1887. Epouse de Bertrand de Sauvan d'Aramon (1876-1949), député du XVe à Paris (il vota les pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940), elle est la fIlle du banquier Edgar Stern (1854-1937) et de Marguerite Fould (1866-1956),
                    Cousine de Marie-Louise et Lucie Stern, la comtesse d’Aramon a deux frères, Hubert (1893-1972) et le banquier Maurice Stern (1888-1962). (14bis)

                    En dépit de son exemption d'étoile et de ses appuis familiaux, la comtesse d’Aramon sera arrêtée à Espalion, dans l'Aveyron, le 6 juin 1944, avec d'autres Juifs. (14ter)
                    Envoyée à Drancy le 25 juin 1944, elle échappa à la mort et meurt en 1954 à l'âge de 67 ans.


                    Approximations historiques

                    Contrairement aux écrits de plusieurs historiens, la baronne de Langlade n'obtiendra jamais l’exemption demandée par Pétain. 
                    Une réalité déplorée par son petit-fils, Bernard de Langlade, qui a alerté l’historien américain Robert Paxton, référence scientifique sur la France de Vichy et auteur en 1981, avec Michaël Marrus, de « Vichy et les Juifs ». (15)
                    Paxton s’est déclaré « ennuyé ». Interrogé par nos soins, l’historien répond : « J'espère pouvoir faire des corrections au texte de la nouvelle édition de Vichy et les Juifs à un moment donné, mais je ne sais pas quand. Cette décision dépend de la maison d'édition. » (16)
                    Dans la seconde édition de « Vichy et les Juifs » (Calmann-Lévy, 2015), pourtant actualisée, Paxton écrit que le Maréchal Pétain « souhaitait » des dérogations pour trois femmes : la comtesse d’Aramon, la marquise de Chasseloup-Laubat et sa soeur, Mme Pierre Girot de Langlade, en précisant que le cardinal Suhard, archevêque de Paris, fit appel à de Brinon pour des convertis aux catholicisme ou des descendants de convertis qu’il craignait de voir obligés de porter l’étoile.

                    Il souligne que les allemands « considérèrent avec froideur ces requêtes ainsi que plusieurs autres. Ils accordèrent une poignée d’exemptions provisoires (parmi lesquelles les trois amies de Pétain, Mme de Brinon et la veuve d’Henri Bergson). » (17)

                    Cette approximation historique contraste avec le sérieux reconnu des recherches de Robert Paxton, qui apporte par ailleurs dans cette réédition de nouvelles preuves tordant le cou aux thèses selon lesquelles Pétain aurait protégé les Juifs français.

                    Elle peut néanmoins s’expliquer.
                    Pour appuyer son énoncé, Paxton cite pourtant en référence l’ouvrage de Léon Poliakov, « L’étoile jaune », paru en 1949 et réédité en 1999. (18)
                    Poliakov, indiquait que « par l’entremise de de Brinon, le maréchal demanda et obtint trois exemptions pour « épouses d’aryens » appartenant à la haute société » mais il précisait dans une note de lecture seulement deux exemptions accordées à « la comtesse d’Aramon, la marquise de Chasseloup-Laubat » et rajoutait prudemment « un troisième cas que nous n’avons pas pu identifier ».
                    En 1979, Henri Amouroux, dans « La vie des français sous l'Occupation » (Fayard), confirmait ce doute et se limita à nommer deux cas sur trois : 

                    « Avec Mme de Brinon sont également exemptées trois personnes (dont la comtesse d'Aramon et la marquise de Chasseloup-Laubat), en faveur desquelles le maréchal Pétain est intervenu le 12 juin 1942. » (19)
                    En 1985, Maurice Rajsfus dans « La police de Vichy » (Le Cherche Midi), au chapitre de la police française et l'étoile jaune, parle « d’un certain nombre de dérogations au port de l'étoile jaune ». Il cite celles accordées à Mme de Brinon, à la comtesse d'Aramon et à la marquise de Chasseloup-Laubat, mais il donne une source exacte que pour Mme de Brinon. (20)

                    En 2002, dans son livre « Opération Etoile Jaune » (Le Cherche Midi), Rajsfus, outre les exemptions accordées à Mme de Brinon, la comtesse d'Aramon, et la marquise de Chasseloup-Laubat, rajoute le nom de Mme Pierre Girot de Langlade sans apporter de nouvelle référence documentaire. (21)
                    L’écrivain Pierre Assouline, dans son roman « Lutétia » (Gallimard, 2005, p. 266) ajoute au trouble en mentionnant aussi la prétendue exemption d’étoile de Mme Girot de Langlade.

                    A ce jour, aucun document du fonds d’archives de la Gestapo, conservé par le Centre de Documentation Juive Contemporaine, n’atteste de la supposée exemption de Mme Girot de Langlade. 
                    La baronne sera arrêtée à son domicile du château de Cuts, le 3 janvier 1944. 
                    Son petit-fils tente une explication à cette arrestation : « Sa soeur, la marquise de Chasseloup-Laubat n’a pas été inquiétée. Les allemands ont profité du fait que ma grand-mère était veuve depuis 1931. Elle était plus vulnérable ». (22)

                    Internée au camp de Drancy, sa famille cherchera à la faire libérer. Enregistrée sous le patronyme de Langlade, les démarches entreprises concernaient une dame Girot...


                    Le 20 janvier 1944 elle fera partie du convoi n° 66 pour Auschwitz où se trouvaient, entre autres, la soeur de l’écrivain Max Jacob, Myrté-Léa, le champion olympique de natation Albert Nakache, sa femme et sa fille, et les parents du résistant Raymond Aubrac.
                    Le 24 janvier 1944, Mme Girot de Langlade sera gazée dès son arrivée au camp, à 61 ans. 

                    Trois demandes de Pétain restées sans suite...

                    D’autres demandes d'exemption réclamées par Pétain, seront étudiées lors d'une réunion tenue en présence de l'ambassadeur d'Allemagne Otto Abetz, mais aucune décision ne sera prise indique le rapport de Herbert Hagen, du 18 juin 1942. (23)
                    Trois personnes étaient concernées :

                    - Louise Neuburger (1872-1946), cousine de Marcel Proust et veuve de Louis Bergson, prix Nobel de littérature 1927, mort en janvier 1941.
                    Après avoir franchi la ligne de démarcation en Touraine, où les Bergson possédaient une propriété à Saint-Cyr-sur- Loire, elle réussira à se réfugier en Suisse avec sa fille Jeanne (1893-1961), sourde et muette, sculpteur de talent, élève d'Antoine Bourdelle. Elles avaient demandé des laisser-passer mais l'ambassade d'Allemagne avait répondu négativement, au motif que les deux femmes étaient juives. (24)

                    Là encore, Paxton fait une erreur, puisque parmi les exemptions accordées, il mentionne la veuve d'Henri Bergson page 345 de son ouvrage.
                    - Colette, nommée « La femme de l'écrivain Henri de Jouvenel » n’était pas Juive ! Mariée en 1912, elle divorce en 1925 et Jouvenel meurt en 1935.

                    En mai 1943, Colette sera néanmoins concernée par une demande d'exemption d'étoile en faveur de son nouveau mari depuis 1935, Maurice Goudeket (1889-1977), journaliste à " Paris-Soir " en 1938-39. Une demande qui sera refusée.
                    Arrêté le 12 décembre 1941 dans « la rafle des notables » (743 Juifs français et 300 Juifs étrangers), interné à Drancy puis à Compiègne, il échappa à la déportation grâce aux interventions de Paul Morand auprès de Laval, de Sacha Guitry, Brasillach, Drieu la Rochelle et Suzanne Abetz, l'épouse de l'ambassadeur allemand Otto Abetz, admiratrice de Colette. Libéré le 6 février 1942, il sera caché à Saint-Tropez, puis dans le Tarn, avant un retour à Paris, où il restera cloitré dans une chambre de bonne jusqu'à la Libération.

                    Dans sa demande envoyée au ministre de l'Intérieur, Colette ira jusqu'à mettre en avant sa propre notoriété outre- Rhin :
                    « Mes livres et ma personne ont toujours reçu, en Allemagne, l'accueil le plus favorable (tournée de conférences à Berlin, Vienne). D’autre part, les autorités occupantes m'ont témoigné, ici, chaque fois que l'occasion s'en est présentée, le maximum de courtoisie et de bienveillance ». (25)

                    - Kostia Konstantinoff (1903-1947), compositeur et pianiste classique, chargé de la programmation musicale de Radio Paris, et chef de l'Orchestre de Paris.
                    Considéré comme orthodoxe puis comme juif par le Commissariat Général aux Questions Juives (26), son cas fut étudié à la Libération par la commission d'épuration mais sans sanction. (27)

                    Reprenant sa carrière musicale en 1946 avec de nombreux concerts internationaux, il mourra dans un accident d'avion aux Etats-Unis, le 30 mai 1947 à 43 ans. 

                    Vie économique, indicateurs de police, pillage des oeuvres d'art...

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                    Des exemptions au port de l'étoile seront délivrées pour aider à la prise de contrôle allemande du tissu industriel, facilité par l’Etat français et sa loi du 22 juillet 1941, instaurant « l’aryanisation » et la spoliation des entreprises juives.

                    Huit exemptions font état de « pressants motifs économiques » (in denen aus dringenden wirtschaftlichen Gründen eine Befreiung erfolgt ist), en faveur de cadres Juifs d'entreprises réquisitionnées par les allemands (Unilever, l'Office central de répartition des produits industriels, les industries chimiques, automobiles, métallurgiques, etc).
                    Ainsi, le russe Arnold Perlitsch travaillait chez Simca, et avait effectué ses études techniques à Berlin. Dans sa demande d’exemption du 4 juin 1942, la direction de l'usine automobile souligne que sa collaboration est indispensable au fonctionnement de l'entreprise :
                    « Nous ne pouvons pas actuellement nous passer de cet employé, ni le remplacer étant donné que l'on manque de traducteurs ayant une formation technique supérieure (...)

                    Il doit être en contact avec les ingénieurs du Reich et nous aimerions beaucoup éviter les difficultés que le port de l'insigne nommé plus haut, soient évitées. »
                    L'exemption refusée dans un premier temps, est finalement accordée jusqu'au 31 août 1942, date à laquelle il sera remplacé par un ingénieur italien. (28)


                    Citons d'autres exemptés :
                    Nadine Fayol, née Picard, en 1896 à Sao Paulo (Brésil), épouse de Henri Fayol, cadre à l'Office central de répartition des produits industriels, section fers et fontes. La demande est transmise le 2 juin 1942 par le Secrétaire d'Etat à la Production Industrielle au chef de la division économique de l'administration militaire allemande. (29) 

                    Fritz-Jacob Rothschild, courtier spécialisé dans les carburants et huiles, et son épouse Hélène.
                    « Elle opère uniquement en appartement et elle ne se montre pas dans la rue. Mais elle est tout à fait indissociable de son mari dans ses affaires » écrit le demandeur d'Unilever. Dans un premier temps, l’exemption ne sera pas accordée à l’épouse de F.J. Rothschild. 

                    Le couple sera même arrêté et interné à Drancy. Une intervention du Dr Matzke, qui dirigeait la Sodeco (Société d’études et de commerce extérieur, spécialisée dans l’achat des matières grasses alimentaires et industrielles) permettra plusieurs prolongations jusqu’au 28 février 1944. (30)
                    Gaston Nataf
                    , roumain, dont le travail à l'EMID, l'établissement métallurgique au service de la Marine, est considéré comme « indispensable » estime l'Amirauté. 

                    En cas d'arrestation il est expressément demandé, en février 1944, de contacter directement Heinz Röthke, le chef du service Juif de la SS. (31)
                    Mêmes dispositions spéciales pour Robert Eisler, agent économique (25) et Oscar Kostelitz, ingénieur chimiste, dont l'exemption du 6 octobre 1942 mentionne « qu'une arrestation éventuelle suppose une confirmation écrite du service IV J du chef de la Sipo-SD ». (32)
                    Charles Simon
                    , catholique mais dont les grands-parents paternels étaient juifs, obtient son exemption le 5 juin 1942. Accordée, elle sera prolongée trois fois jusqu’au 30 août 1943.
                    Ce courtier, né à Bordeaux le 9 août 1876, a participé avant-guerre à un comité franco-allemand. Sa connaissance dans le domaine des carburants est considérée comme « indispensable ». (33)


                    Au service de la police...

                    La collusion des policiers français avec le service IV-B de la Sipo-SD se révéla d’une redoutable efficacité à travers plusieurs structures : la PQJ (Police aux Questions Juives), puis, la SEC (Section d’enquêtes et de contrôle du Commissariat général aux Questions Juives) à partir du 13 août 1942, la troisième section des renseignements généraux, et le service spécial des Affaires Juives à la direction de la police judiciaire de la Préfecture de police de Paris. (34)
                    Laurent Joly, dans « Vichy dans la « Solution Finale » (Grasset, 2006) rappelle que la SEC arrêta entre 850 et 900 personnes entre l’automne 1942 et l’été 1944, et parmi elles, environ 650 seront déportées à cause du zèle des inspecteurs de la SEC. (35)
                    Ces services sont constitués de « volontaires avides de chasse au Juif, grisés par leur énorme pouvoir et irrésistiblement séduits par les multiples possibilités d’enrichissement crapuleux », écrira Georges Wellers, dans « Un Juif sous Vichy ». (36)

                    Pour faciliter leur action, ces services utiliseront des Juifs, devenus indicateurs souvent forcés : André Haffner, directeur de la SEC (Section d’enquêtes et de contrôle du Commissariat général aux questions juives), condamné à mort par contumace en 1949, interrogé par le Tribunal des forces armées en 1956 (où il sera acquitté) témoignera à propos de ces indicateurs : « Des israélites que l’on arrêtait, puis que l’on relâchait à condition qu’ils « donnent » des affaires. Quand ils avaient permis l’arrestation de tous leurs coreligionnaires de leur quartier, on les envoyait à Drancy à leur tour. » (37)
                    En octobre 1946, Kurt Schendel, ancien secrétaire du service de liaison de l’UGIF, fera une déposition où il dénonce les pratiques de Robert Jodkun, de la Sipo-SD, qui « avait à sa solde des indicateurs, hommes et femmes. » (38) 
                    Dans le cadre de la même commission rogatoire, une liste de 32 personnes sera fournie lors de l’interrogatoire de l’inspecteur Henri Jalby. 
                    Plusieurs indicateurs sont Juifs. (39)
                    Aussi, six exemptions d’étoile jaune seront accordées début juin 1942 à des Juifs 
                    « travaillant avec la police anti- juive » indicateurs, dénonciateurs.
                    Elles concernent Roger Nowina, 47 ans, les frères Robert et Claude Lambert, épiciers, 43 et 42 ans, - ils seront déportés avec leurs épouses, respectivement Suzanne, née Bloch, et Marianne Sarah, née Maus, et leurs enfants (respectivement, Michel et Jacques, et Gérard, Francine et Jean-Pierre), soit sept personnes d’une même famille par le convoi n° 62 du 20 novembre 1943. 

                    Leur père Daniel Lambert, arrêté le 4 décembre 1943, suivra par le convoi n° 63 du 17 décembre 1943 -, Gaston Naxara, 35 ans, et deux femmes, Hildegard Bergmann, 20 ans, et Camille Wilenski, 44 ans.
                    Hildegard Bergmann, née en 1922 en Allemagne, était secrétaire. Elle sera déportée à Auschwitz, par le convoi n° 55 du 23 juin 1943. Libérée à Ravensbruck par l’armée américaine en mai 1945, elle sera de retour à Paris le 11 juin 1945. (40)
                    Maurice Lopatka,
                    né à Varsovie en 1893, de son vrai nom Moszek Lopatka, obtiendra son exemption le 24 juillet 1942. Il est considéré comme « le plus terrible des informateurs juifs, responsable de l'arrestation de centaines de juifs qu'il faisait chanter avant de les dénoncer pour toucher des deux côtés » précise Léon Poliakov, dans son livre « L’Etoile jaune ». (41)

                    Arrêté à la Libération par les FFI, détenu dans la prison clandestine de la Villa Saïd qui fut l’hôtel particulier de Pierre Laval, il sera fusillé par les résistants. (42)
                    Serge Epstein, autre indicateur virulent, obtient son exemption le 15 août 1942. Prénommé en réalité Samuel, il est né à Gordka (Russie), en 1888. (43)
                    Trafiquant d'or, « autorisé à sortir sans étoile », il aurait fait arrêter « des centaines de ses coreligionnaires », accuse l’inspecteur de la Police des questions juives, Henri Jalby, lors de son interrogatoire. (44)

                    Une fiche du camp de Drancy du 22 janvier 1944 signale son internement pour « services rendus à la Gestapo »... 
                    Signalons aussi l’exemption accordée à l’indicateur Eduard Laemle, né en 1877 à Bône (Algérie). Considéré comme Juif, son exemption est limitée du 15 mai 1943 au 15 septembre 1943, puis prolongée jusqu’au 30 novembre 1943. Mais lorsque Röthke demanda son arrestation, en mars, il présentera des papiers prouvant son appartenance à la « race aryenne ». (45)
                    Arrêté comme Juif, il faisait partie d’une liste de personnes, anciens combattants, qui feront l’objet d’une demande de remise en liberté en avril 1942. (46)

                    Sept autres exemptions concernent les services de l'Abwehr chargés du contre-espionnage, installés à l'Hôtel Lutetia à Paris, pour traquer les résistants.


                    Josef Hans Lazar, l'influent chef de la propagande allemande en Espagne, obtient aussi une exemption, formulée par le service de renseignement allemand.
                    Né à Constantinople en 1895, il a été attaché de presse de la République d'Autriche à Berlin puis à Vienne en 1938 et en septembre 1939 de l'ambassade d'Allemagne à Madrid. En 1943, Franco lui remet la croix du mérite militaire. Pendant la guerre civile espagnole il répandait les idées nazies dans les bulletins paroissiaux, financés par des publicités pour Siemens, Mercedes et Merk.
                    Après guerre, il deviendra directeur général d'une société de négoce à Madrid puis émigra au Brésil en 1956 et meurt à Vienne en 1961 à 66 ans. (47)

                    Des exemptions pour mieux piller les oeuvres d'art

                    Trois exemptions seront accordées en août 1942 aux marchands d'art Juifs Allan et Emmanuel Loebl, et Hugo Engel, galeriste Juif autrichien avec son fils Herbert, chargés d'alimenter le projet de musée voulu par Hitler à Linz, en Autriche, et les collections pillées par le Maréchal Hermann Göring. (48)

                    Allan Loebl était au service de Bruno Lohse (1911-2007), historien d'art engagé dans la SS, pour lui trouver les plus belles oeuvres. 
                    Echange de « bons procédés », Lohse fera libérer l'épouse de Jean de Cayeux de Sénarpont, président du syndicat des marchands d'art, née Daria Kamenka, internée à Drancy parce que juive. 
                    Un syndicat des marchands d'art où agissait l'industriel Achille Boitel, liquidé en 1944 par la Résistance qui plaça une bombe dans sa voiture, et l'antiquaire Yves Perdoux, qui révéla les cachettes du marchand d'art Paul Rosenberg, obtenant en contre-partie trois Pissaro et un Renoir... (49) 

                    (28) CDJC XXVa-197 Quatre documents datés du 4 au 29 juin 1942
                    (29) CDJC XXVa-180 Quatre documents datés du 2 juin au 8 septembre 1942
                    (30) CDJC XXVa-167 et XXVa-200
                    (31) CDJC XXVa-193
                    (32) CDJC XXVa-178 et CDJC XXVa-182
                    (33) CDJC XXVa-204
                    (34) Lire Jean-Marc Berlière : « Les policiers français sous l’Occupation » (Perrin, 2001) et Maurice Rajsfus : « La police de Vichy »- les forces de l’ordre françaises au service de la Gestapo 1940-1944 (Le Cherche Midi, 1995)
                    (35) Laurent Joly : « Vichy dans la « Solution Finale » (Grasset, 2006), p. 623 à 643
                    (36) Georges Wellers : « Un Juif sous Vichy » (Tiresias, 1991), p.59
                    (37) CDJC DXL VI-73 Rapport du 11 juillet 1957
                    (38) CDJC XCVI-56bis Déposition du 7 octobre 1946, impliquant Joseph Antigang, Robert Jodkun, Franz Schmid, Henri Jalby, Lucien Knabe, MM. Goeppert et Jurgens, pour leur collaboration
                    (39) CDJC XCVI-61 Déposition du 15 octobre 1946 de Henri Jalby, ancien inspecteur à la Police des Questions Juives, impliquant plusieurs personnes ayant dénoncé et fait arrêter des personnes juives, établie
                    auprès de René Seyvoz, commissaire à la direction des Renseignements Généraux
                    (40) CDJC XXVa-165 et 166 Lettres des 6-7 juin 1942 du chef de la Police aux Questions Juives au SS Théodor Dannecker, en faveur de six Juifs travaillant à la PQJ.
                    Hildegarde Bergmann apparaît dans la documentation de l’ITS (International Tracing Service, Croix-Rouge, Arolsen). Sa survie est attestée par Joseph et Tauba Siegelbaum.
                    (41) « L’Etoile jaune », op. cit. p.70
                    (42) CDJC XXVa-189 Certificat d’exemption de Maurice Lopatka du 24 juillet 1942, signé Röthke
                    Jean Bocagnano : " Quartier des Fauves, prison de Fresnes " (Editions du Fuseau, 1953) p. 83-84(43) CDJC XXVa-179 Documents du 15 août 1942 concernant l’exemption de Samuel Epstein
                    (44) CDJC XCVI-61 Déposition du 15 octobre 1946 de Henri Jalby
                    (45) CDJC XXVa-183 Trois documents du 15 mai 1943 au 14 mars 1944 concernant l’exemption d’Eduard Laemle
                    (46) CDJC VI-140 Ensemble de lettres en faveur de la remise en liberté de Juifs internés, adressées à Fernand de Brinon.
                    (47) José Maria Irujo : "La lista negra - Espias nazis protegidos", Aguilar, 2003
                    (48) CDJC XXVa-186 Documents du 10 août 1942 au 13 juillet 1943 concernant l’exemption d’Allan et Emanuel Loeb, et Hugo Engel
                    (49) André Gob : " Des musées au dessus de tout soupçon " Armand-Colin, 2007, chap. 4 : Butin, saisies, spoliations 1933-1946, p. 142-144
                    L’Oeil n° 630 - décembre 2010 Dans les ténèbres du Dr Lohse, par Philippe Sprang

                    Solidarité, protestations et les ambiguïtés de l'UGIF

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                    Les exemptions d'étoile, même si elles sont numériquement marginales, contrastaient fortement avec le contexte implacable de visibilité et de stigmatisation des Juifs porteurs de l'étoile jaune.

                    L'étoile jaune solidement cousue sur le côté gauche (dr)
                    Ne pas porter l'étoile exposait à des risques majeurs : 

                    les infractions à la 8e ordonnance allemande prévoyaient emprisonnement, amende et internement dans un « camp de Juifs ». En clair, la déportation « à l’Est »...

                    Un levier incontestable dans la mise en oeuvre de la Shoah, en France comme dans les autres pays occupés où les Juifs seront persécutés.


                    Malgré cela, des stratégies de survie émergeront : refus du recensement, passages clandestins de la ligne de démarcation, placements d'enfants par les œuvres juives, réseaux de sauvetage, évasions et libérations de prisonniers des camps d'internement français grâce aux rabbins-aumôniers, sauvetages par des Justes, sans oublier les actions de la Résistance juive (faux papiers, caches d'enfants, passage des frontières en Suisse et en Espagne, groupes armés, maquis).

                    Le dimanche 7 juin 1942, premier jour du port obligatoire de l'étoile, des manifestations de sympathie ont entraîné l’arrestation d’une quarantaine de personnes à Paris pour défaut d'étoile, ou pour avoir porté d'autres insignes, avec des inscriptions comme "zazou", "swing", "potache", "papou".
                    Les hommes juifs ont été internés à Drancy, les femmes à la prison des Tourelles. Un sort identique sera réservé aux non-juifs, et les moins de 18 ans ont été interpellés pour 24 à 48 h avant d’être libérés. (60)
                    Le service de propagande allemande souligne dans son rapport « qu’il y avait un grand nombre de juifs qui se sont montrés sur les grands boulevards, entre la République et l’Opéra. Partout, même dans les milieux peu favorables aux allemands, on pouvait entendre la constatation qu’on n’avait jamais pensé qu’il y avait tant de Juifs à Paris. » (61)
                    La veille du 7 juin, un autre rapport réalisé d’après un « informateur sérieux », fait savoir que « dimanche 7 juin, les israélites ont l’intention de faire une manifestation, secondée par le parti communiste. Le but de cette manifestation, si ils peuvent se grouper, serait de descendre l’avenue des Champs-Elysées par petits groupes, portant bien en vue l’étoile jaune sur fond noir avec inscription « Juif » et les communistes porteraient le même insigne, mais au lieu du mot « Juif », ils porteraient la région dont ils sont originaires ou une région quelconque. » (62)

                    Les autorités religieuses protestent

                    Contre la discrimination des Juifs « marqués » par l’étoile jaune, les autorités religieuses émettront des protestations :
                    Les protestants seront les premiers à réagir : le 7 juin, à l’Oratoire de Paris, le pasteur André-Numa Bertrand déclare : «Depuis ce matin, nos compatriotes israélites sontassujettis à une législation qui froisse dans leur personne et dans celle de leurs enfants, les principes les plus élémentaires de la dignité humaine. Nous ne sommes pas ici pour protester ou pour récriminer, encore bien moins pour condamner et pour maudire ; nous sommes ici pour aimer, pour prier et pour bénir. Ce sont des droits que personne sans doute ne nous contestera, et dont personne, dans tous les cas, ne peut nous dépouiller sans notre propre consentement. Nous sommes ici pour demander à Dieu qu'il fortifie le coeur de ces hommes et de ces femmes, afin que ce dont on a voulu faire pour eux un signe d'humiliation, ils soient rendus capables d'en faire un signe d'honneur. - Là où des hommes souffrent, quels qu’ils soient, le cœur innombrable du Christ est ému de miséricorde et l’Église a le devoir de dire : Moi aussi je souffre avec eux. - Là où des chrétiens, des hommes et des femmes qui ont été baptisés au nom de Jésus-Christ, sont contraints de porter un signe qui n’est pas celui de leur Maître et de leur Sauveur, l’Église de Jésus-Christ a le devoir de dire : Ceux-là sont à moi, et je suis avec eux. - Et là où sont frappés des enfants de six ans, l’Église de Jésus-Christ a le devoir de dire : Ceux-là sont à Dieu, les innocents, et je les bénis. » (63)

                    Le 12 juin 1942, la Fédération protestante de France écrit à Pétain pour lui exprimer « la douloureuse impression éprouvée devant les nouvelles mesures prises par les autorités d’occupation à l’égard des israélites. »
                    Mandaté par le Conseil de la Fédération protestante de France, son président, le pasteur Marc Boegner, remettra personnellement à Pétain, le 27 juin 1942, une lettre relayée à tous les pasteurs de zone occupée, pour protester contre le port de l’étoile jaune. Il écrit : « Ce port d’un insigne distinctif inflige à des Français une humiliation gratuite, en affectant de les mettre à part du reste de la nation (...) Aussi, les Eglises du Christ ne peuvent-elles garder le silence devant des souffrances imméritées. » (64)

                    Pour les catholiques, le jour même de l'entrée en vigueur de l'étoile, le cardinal Suhard, archevêque de Paris, autorise l’initiative d’un groupe de Jécistes demandant une protestation en chaire à l’église de la Sorbonne. Le chanoine Jean Rupp déclara : « Une mesure incompréhensible pour l’âme française et où elle se refuse de se reconnaître, vient d’^etre prise par les Autorités d’Occupation. L’immense émotion qui étreint le Quartier Latin ne nous laisse pas insensibles. Nous assurons les victimes de notre affection bouleversée et prions Dieu qu’il leur donne la force de surmonter cette terrible épreuve ». 
                    Et Mgr Chaptal, évêque auxiliaire de Paris, dont la mère était juive d'origine russe, portera ostensiblement l'étoile par esprit de solidarité. (65)
                    Egalement, un rapport de la Gestapo indique qu'à la Sainte-Chapelle, au cours de la messe en l'honneur de saint Louis et de saint Yves qui réunissait le barreau parisien, le prédicateur dominicain protesta au nom du cardinal : « Le représentant de Mgr Suhard s'est dressé avec la plus grande énergie contre l'introduction de l'étoile juive. Les auditeurs ont été priés de se rappeler que Juifs et chrétiens sont frères. » (66)
                    Des prêtres de base s'engageront courageusement (67) : «Plusieurs fidèles de l'église Saint-Honoré- d'Eylau, d'origine juive et munis de leurs insignes, sont allés consulter leur curé à ce sujet. Puisque notre Seigneur Jésus-Christ, s'il était parmi nous, aurait porté lui aussi cet insigne. C'est pourquoi il faut les bénir vos insignes », rapporte Jacques Biélinky dans son journal du 10 juin.
                    Le dimanche 14 juin, Paul Verdrie, curé de Sainte-Clotilde, dans le 7e arrondissement, fera un sermon vigoureux à la
                    messe de 11 h.
                    Le 20 juin 1942, deux indicateurs rapportent les réactions des Parisiens après l’entrée en vigueur de la 8e ordonnance.
                    Ils signalent notamment la prise de position, pendant leurs prêches, en faveur des Juifs, des abbés Lombard (Saint- Germain-des-Prés), Michel, Boucard, de Pitray (Saint-Sulpice), de Buchère de Lépinois, Gilson et Verdrie (Sainte- Clothilde).
                    Des prises de position similaires ont eu lieu dans les paroisses Saint-Laurent, Saint-Martin-des-Champs, Saint- Vincent-de-Paul (Xe), Saint-Marcel (XIIIe), Sainte-Hippolyte.
                    Même à Vichy, rapporte Georges Wellers, «
                    le RP Victor Dillard, devant ses fidèles de l’église Saint-Louis, les invite à prier pour les 80.000 juifs que l'on bafoue en leur faisant porter l'étoile jaune. »
                    A Séranon (Alpes-Maritimes), l'abbé Coene écrit dans son bulletin paroissial : «
                    Que commande la charité chrétienne au sujet des juifs ? De les aimer comme des frères : ce sont des hommes comme nous, rachetés par le sang de Jésus, appelés à aller au ciel comme nous. »
                    Parmi les attitudes exemplaires, celle de l'abbé Jean Flory, curé de Montbeliard. A la messe de minuit de 1942, en présence d'Allemands en uniforme, il avait fait porter un enfant Jésus en procession, par les enfants de choeur, qui portait l'étoile jaune.
                    Dans la crèche, Joseph et Marie portaient aussi l'étoile. «
                    L’affaire n'eut pas de suite » rapporte l'abbé Ball, biographe de son confrère.
                    Et le Pape ? Un agent diplomatique du Saint-Siège a eu un entretien avec le maréchal Pétain. Une note anonyme du 27 septembre 1942, rapporte que suite à la volonté de Laval de livrer des Juifs étrangers contre des Juifs français, et de soumettre au Conseil d'Etat le port de l'étoile, le diplomate exprima l'opinion du Pape «
                    désapprouvant les mesures antisémites qu'il considère comme contraires à la dignité humaine et à la morale chrétienne. » (68)


                    Le Consistoire garde le silence...

                    Quant au Consistoire israélite, replié à Lyon, il préféra garder le silence alors qu’à maintes reprises, contre les législations discriminatoires de Vichy, il avait solennellement réagi, notamment auprès de Pétain. L’institution, chargée de l’organisation du culte, était présidée par Jacques Helbronner, avocat, « ami » de Pétain, Conseiller d’Etat mis à la retraite (qui sera déporté à Auschwitz avec son épouse Jeanne, par le convoi n° 62 du 20 novembre 1943. Ils mourront dans les chambres à gaz le 23 novembre 1943).
                    Un silence qui s'explique par la question de la souveraineté, différente entre zone occupée et zone libre où Vichy refusa l’extension de l’étoile jaune.
                    S'agissant d'une ordonnance allemande, la crainte des représailles peut aussi justifier l'absence de réaction directe. A contrario, le Consistoire réagira vivement contre la loi du 9 novembre 1942 imposant le tampon « JUIF » sur les cartes d’identité : Helbronner et le grand rabbin Schwartz, écriront à Laval (courrier du 30 décembre) pour exprimer «
                    leur indignation contre une mesure qui tendait à soumettre à une humiliation nouvelle une catégorie de citoyens français contre une obligation vexatoire venant s'ajouter à tant d'autres ". (69)

                    C’est seulement en interne que le Consistoire réagira contre l’étoile, le 30 juin 1942, dans une lettre à ses délégations régionales (67) alors qu’il développe l’idée d’un transfert inter-zones des familles juives françaises :
                    « Il paraît utile de préciser que cette requête a été présentée dans le dessein de préserver les Israélites de la zone occupée, des persécutions que constituent le port de l'Etoile, et ses répercussions. Aussi bien ne saurait-il s'agir, selon nous, d'une évacuation obligatoire mais d'une faculté d'évacuation accordée à ceux des Israélites qui en manifesteraient le désir. Une évacuation obligatoire serait une nouvelle persécution (...) Seraient tout particulièrement frappés ceux d'entre eux qui, réintégrés depuis longtemps à la Communauté française, attachés à la terre, à l'usine, à leur atelier d'artisan, remplissent en silence leur tâche quotidienne, supportant sans fléchir les vexations qui, sous le régime d'occupation leur sont infligées ». (70)
                    L'occupation de toute la France, à compter du 11 novembre 1942, ruinera cet espoir, refusé officiellement le 14 août 1942.

                    L'UGIF appelle à "porter l'insigne dignement et ostensiblement"

                    De son côté, l'Union générale des israélites de France (UGIF) - organisme créé fin 1941 à la demande des Allemands et dont les administrateurs sont nommés par le Commissariat Général aux Questions Juives - appelait à « porter l'insigne dignement et ostensiblement », rappelle Renée Poznanski dans « Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre Mondiale ». (71)
                    L'UGIF utilisera aussi la possibilité « légale » des exemptions pour faciliter ses activités.
                    Léo Israelowicz, chef du service 14 de liaison entre l'UGIF et le service des affaires juives de la SS, délivrera le 8 
                    juillet 1943, avec l'accord du SS Heinz Röthke, une attestation exceptionnelle exemptant d'étoile Robert Gamzon (1905-1961). (72)

                    Membre du conseil d'administration de l'UGIF pour la zone sud et membre du Consistoire central, petit-fils d'Alfred Lévy, grand rabbin de Paris, Robert Gamzon a fondé les Eclaireurs Israélites de France (EIF) en 1923. En 1943, à Lautrec (Tarn), il oeuvre dans une filière d'évasion d'enfants juifs, permettant le sauvetage de milliers de jeunes. 
                    Fin 1943, il entra dans la clandestinité et en 1944 il prend le commandement de la 2e compagnie du maquis de Vabre (Tarn). 
                    En 1949, il s'installa en Israël où il meurt noyé, accidentellement.
                    L'attestation de Gamzon lui permettra aussi de passer outre le couvre-feu, pour deux mois, en zone occupée (les dirigeants et cadres de l'UGIF disposaient seulement en zone occupée, à partir de juin 1942, d'une carte de légitimation qui n'exemptait pas des mesures antisémites en vigueur).
                    Israelowicz, dans une note interne du 2 décembre 1942, après un entretien avec le SS Röthke, invitait l'ensemble du personnel de l'UGIF à « observer strictement les prescriptions en vigueur, afin de ne pas rencontrer des difficultés qui auraient pu être évitées », Röthke confirmant « le désir de maintenir la protection qui s'étend à nos employés. Ceci à la condition que ces derniers ne se rendent coupables, ni d'infractions ni de délits ». Un rappel implicite de respecter le port de l'étoile. (73)

                    Israelowicz, né le 15 février 1912 à Tarnow, près de Cracovie, est un ancien ténor de l’Opéra de Vienne connu sous le nom de Léo Ilkar. 
                    Devenu à 26 ans membre du Judenrat, le conseil juif de la capitale autrichienne, il est envoyé à Paris par Adolf Eichmann en mars 1941, où il prend la direction de l’hebdomadaire « Informations juives » qui deviendra le bulletin de l’UGIF à compter de janvier 1942.
                    Il interviendra en faveur de plusieurs coreligionnaires, notamment pour tenter de sauver le rabbin de Haute-Savoie, Robert Meyers, arrêté en décembre 1942 avec son épouse Suzanne. Ils seront déportés le 13 février 1943 par le convoi n° 48.
                    En octobre 1942, à la demande du rabbin de Poitiers, Elie Bloch, Israelowicz interviendra pour faire libérer la famille Fligelman et les enfants Lieberman, internés au camp de Poitiers.

                    Le 21 juillet 1943, Israelowicz accompagnait André Baur, vice-président de l’UGIF pour la zone nord, au camp de Drancy.
                    Baur, qui avait protesté auprès de Vichy sur les violences commises par les SS du camp, répondait à une convocation d’Aloïs Brunner qui dirigeait Drancy. Il sera retenu sous prétexte de l'évasion le même jour de son cousin Adolphe-Raymond Ducas. Israelowicz sera laissé en liberté provisoire mais leurs familles seront menacées d’arrestation si dans un délai de huit jours les deux évadés ne se présentaient pas volontairement.

                    L’UGIF montera une mission pour retrouver les fugitifs et Baur demandera au garde des Sceaux d'intervenir auprès des autorités helvétiques pour obtenir l’extradition de Ducas. En vain.
                    En représailles, Brunner ordonna l’arrestation d’une cinquantaine de membres de l’UGIF. Baur, son épouse et leurs quatre enfants, Israelowicz, et trois autres dirigeants de l’UGIF (Armand Katz, chef du personnel, Marcel Lévy,
                    responsable du service des approvisionnements et Raymond Raoul Lambert, dirigeant de zone sud arrêté le 21 août à Marseille) seront déportés à Auschwitz le 17 décembre 1943 par le convoi n° 63.

                    Un capo, juif polonais, nommé Herbert, qui avait vu sa femme et ses trois petites filles gazées à Auschwitz, tuera Israelowicz en le rouant de coups... (73 bis)



                    CDJC CDX70 : l’attestation en faveur de Robert Gamzon par Léo Israelowicz

                    Du temps de sa splendeur, Israelowicz joua aussi de son influence pour recommander son compatriote, juif autrichien, Oskar Reich aux SS.
                    A 29 ans, cet ancien international de football (joueur de l'équipe juive de l'Hakoah de Vienne, puis à Cannes et Nîmes), avait été arrêté à Avignon.
                    A Drancy depuis août 1943, il sera chargé d'accompagner Brunner dans sa chasse aux Juifs de l'ancienne zone italienne.
                    Suite à la découverte d’un tunnel d'évasion le 9 novembre 1943, soixante cinq cadres juifs du camp seront démis de leurs fonctions puis déportés.
                    Oskar Reich, qui était jusqu’alors second dans la hiérarchie du service d’ordre juif depuis septembre, devient chef après la déportation de René Dreyfus.

                    « Familier des SS de Drancy, ce Juif autrichien exceptionnellement dispensé du port de l'étoile jaune inspirait une terreur » chez les internés qui l’accusaient d'assouvir ses appétits sexuels dans sa chambre et d'avoir commis des viols sur les internées, soulignent Annette Wieviorka et Michel Laffitte dans "A l'intérieur du camp de
                    Drancy" (Perrin, 2012,
                    p.297).

                    « Aucun des véritables responsables des rafles de Juifs - gendarmes ou personnels de la préfecture de police - n'a subi de lourde condamnation. L'opprobre s'est portée sur le seul Oskar Reich." précisent-ils. (Ibid. p.299)
                    En fuite dans l'ultime convoi parti en août 1944, la rumeur considéra Reich comme mort à Auschwitz. Retrouvé en 1946, il sera ramené en France. Inculpé de violences et séquestration par application des ordonnances de 1944 sur les crimes de guerre, avec deux sous-officiers SS, son procès s'ouvre le 8 février 1949 devant le tribunal militaire de Paris.

                    Jugé en moins de deux jours, il protestera de son innocence et reconnaîtra seulement avoir assisté à des arrestations nocturnes.
                    Condamné à mort, Reich sera fusillé en juillet au fort de Montrouge. 



                    (50) CDJC XXVa-203 Documents du 27 octobre 1942 au 4 novembre 1942 concernant l’exemption d’Ida Seurat-Guitelman
                    (51) 
                    CDJC XX-29 Circulaire n°131-42 du 1er juin 1942
                    (52) CDJC XX-14b Circulaire du 12 juillet 1942
                    (53) 
                    Société Française de la Police : notice biographique d’Emile Hennequin(54) Bulletin n°132 de l'Association d'études historiques " Symboles et traditions " (juin 1998). p.7 à 11. Lire aussi " La première résistance : le camouflage des armes - Les secrets du réseau CDM 1940-1944 ". Philibert de Lois (Editions L'Esprit du Livre, 2010)
                    (55) Archives de la Préfecture de Police de Paris. Dossier d'épuration n° KB 59
                    (56) Archives de la Préfecture de Police de Paris. Dossier d'épuration n° KB 98
                    (57) CDJC XXVa-185
                    (58) Jean-Jacques Bernard « Le camp de la mort lente » (Le Manuscrit, 2006, p. 40)
                    (59) Entretien avec l’auteur - janvier 2008.
                    (60) CDJC XLIXa-33 Note du 10 juin 1942 de Heinz Rôthke
                    Lire Cédric Gruat et Cécile Leblanc : " Amis des Juifs - Les résistants aux étoiles « , Tirésias 2005
                    Françoise Siefridt : « J’ai voulu porter l’étoile jaune », Robert Laffont, 2010
                    (61) XLIXa-32 op. cit.
                    (62) CDJC-XLIXa-65
                    (63) Sermon du pasteur A. N. Bertrand du 7 juin 1942 à l’Oratoire du Louvre(64) CDJC CXCV-36_001(65) Sylvie Bernay : « L’Eglise de France face à la persécution des Juifs » (CNRS Editions 2012, p. 313)
                    (66) CDJC XLIXa-94a, rapport n°21 du service VI, 25 juin 1942
                    (67) Michel Laffitte : « Juif dans la France Allemande" (Tallandier 2006) p. 138
                    -139
                    CDJC-XLIXa-92 Rapport du 20 juin 1942.
                    Georges Wellers " Un Juif sous Vichy " (Tirésias, 1991) p. 221.
                    CDJC-CCXXXIX-206
                    L'action de l'abbé Flory (1886-1949), ordonné en 1911, curé de Montbéliard à partir de 1937, est rapportée par Limor Yagil 
                    « Chrétiens et Juifs sous Vichy, 1940-1944 : sauvetage et désobéissance civile », (Editions du Cerf, 2005) et « L’Abbé Jean Flory : documents et témoignages » recueillis par Joseph Ball (1978).
                    (68) CDJC CCXIV-85_001
                    (69) AIU, CC-24
                    (70) AIU, CC-17, citée par Eric Alary dans " La ligne de démarcation ", Perrin 2003, p. 209. AIU, CC-6
                    (71) Renée Poznanski : « Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre Mondiale », (Hachette, 2005), p. 292 et Michel Laffitte dans « Juif dans la France allemande » (Tallandier, 2006), p. 130.


                    (72) CDJC CDX 70 Attestation du 8 juillet 1943
                    (73) CDJC CDXXIV-3 Note anonyme du 27 septembre 1942 relative aux mesures prises par Laval. Ce document évoque l’entretien de Pétain avec un agent diplomatique du Saint-Siège
                    (73 bis) 
                    http://perso.wanadoo.fr/d-d.natansonTémoignage tiré de " La triste fin de Léo Israélowicz "

                    Des demandes d'exemption d'étoile jaune refusées

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                    En vain, des demandes individuelles d'exemption seront formulées. Souvent adressées aux préfectures, elles sont réexpédiées au ministère de l'Intérieur, qui répondait ne pas accorder de telles dispenses, ni même devoir les transmettre aux autorités allemandes.

                    Le Ministère de l’Intérieur répond à la demande du préfet du Loir-et-Cher (AD 41)
                    Le 26 juin 1942, le préfet du Loir-et-Cher, Jacques-Félix Bussière, transmet au ministère une demande d'exemption formulée par deux veuves : une commerçante de Romorantin, Alice Houlman-Lévy, 73 ans, et son employée Renée-Claire Kahn, 61 ans.
                    Il souligne dans son courrier que les deux femmes sont « de race juive, mais de nationalité française ».
                    Le 13 juillet 1942, réponse négative. 
                    Le 4 novembre, les deux femmes sont arrêtées pour « action anti-allemande ». Elles seront déportées respectivement à Sobibor le 25 mars 1943, dans le convoi n° 53, et à Auschwitz, le 31 juillet 1943, dans le convoi n° 58.
                    Le même jour, le ministère transmet une autre fin de non recevoir au préfet Bussière concernant la demande d’exemption de André Weidenbach, de Vendôme. 
                    Il mettait en avant plus d’un siècle et demi d’ancêtres français, soulignait que son père avait été tué au champ d’honneur en 1915. Il évoquait une « vexation morale très pénible » le fait d’être « montré du doigt comme ayant une tare alors que ma vie et celle de mes parents n’a toujours été que droiture », que sa femme était aryenne, que ses deux enfants étaient « de religion catholique » et qu’il n’avait lui- même « jamais opté pour la religion juive ». (74)
                    Jacques-Félix Bussière (1895-1955), nommé préfet du Loiret puis préfet régional à Marseille, nouera des contacts avec la France Libre pour préparer le débarquement allié en Provence, à partir du 15 août 1944.

                    Arrêté par la Gestapo le 14 mai 1944, il sera déporté à Neuengamme et trouvera la mort le 3 mai 1945, en mer Baltique, sur le « Cap Arcona ». Cet ancien paquebot transportait dans ses cales 6.500 déportés gardés par 500 SS. Il sera coulé par la Royal Air Force et l’on ne comptera que 150 survivants.


                    La carte d'identité avec le tampon "JUIVE" (archives départementales 37)
                    A Tours, Nelly Frankfurter avait 17 ans. Né à Varsovie le 19 septembre 1925, elle suivait des cours de secrétariat et vivait avec sa famille d'origine polonaise, expulsée de Gironde, au camp de La Lande.
                    Le 31 mai 1942, elle adresse une lettre au général chef de la Kommandantur de Paris, en vue d'une exemption d'étoile. (75)

                    « Je voudrais vous adresser une prière. Comme vous le savez, il est interdit de paraître en public, à partir du 7 juin, sans porter l'étoile jaune. Cela me chagrine beaucoup parce que je suis juive. Je suis femme et j'ai de la peine à concevoir que je ne pourrai plus me trouver en société sans provoquer chez certains un sentiment d'animosité. J'aime tous les êtres humains sans distinction, et me voir repoussée par ceux que j'aime, surtout par mes camarades de classe, me cause un vif chagrin. (...)
                    Je m'adresse donc à votre bonté, à vos sentiments humains qui, j'en suis sûre, sont aussi forts qu'en moi, et vous prie de bien vouloir me répondre avant le 7 juin, date à laquelle le décret entre en vigueur » ...
                    Pour seule réponse, Nelly sera arrêtée et déportée à Auschwitz par le convoi n° 8 du 20 juillet 1942 avec sa mère Alla, 54 ans. 

                    Son père Stanislas, né à Lodz le 26 août 1883, directeur commercial chez Massey-Harris à Bordeaux sera également déporté vers Auschwitz le 11 septembre 1942, par le convoi n° 31.
                    A Meudon, l'archimandrite Serge Feffermann, un des plus hauts dignitaires de l'église russe orthodoxe, portait l’étoile, certains orthodoxes grecs et russes tombant sous le coup du statut des Juifs. 
                    S'adressant au Commissariat général aux Questions Juives, il demande de ne plus porter l'étoile. Il rappelle avoir quatre grands parents juifs, mais souligne s'être converti dès l'âge de 16 ans : « Un demi-siècle passé au service de l’Église catholique orthodoxe pouvait me faire croire que jamais rien ne me rapellerait ma lointaine origine israélite. Or, actuellement à cause de règlements, peut-être trop rigoureusement interprétés, je suis astreint à porter l'étoile de Sion que j'ai reniée à jamais, et qui comporte le plus douloureux sacrifice qui puisse être imposé à un prêtre, celui de ne pouvoir participer à la célébration de services religieux. »
                    Sa demande sera rejetée le 27 février 1943, au seul prétexte habituel, que seules les autorités allemandes « étaient qualifiées ». (76)

                    Fin de non recevoir également pour les demandes émanant d'associations ou de corps constitués comme l'Ordre des médecins, à la demande des Pr Leriche et Lemierre, en faveur de la veuve de Fernand Widal, mort en 1929, qui fut un ami de Pétain. (77)

                    Idem pour 28 sapeurs-pompiers de Paris, caporaux et sapeurs juifs de la réserve, suite à la requête du colonel Simonin, commandant du régiment, refusée par Oberg, chef supérieur de la SS et de la police. (78)

                    Victor Faynzylberg et ses enfants (dr)

                    Autre demande refusée, celle de la Fédération des amputés de guerre pour les mutilés de guerre Juifs. (79)
                    Elle met en avant la situation de Victor Faynzylberg, ce soldat du 22e régiment de marche étranger (polonais) qui avait perdu sa jambe gauche en 1940. Sa femme Ita arrêtée en juillet 1942, il restait seul avec deux enfants en bas âge.

                    Faynzylberg, coiffeur boulevard de la Villette, s'était fait photographier avec ses deux enfants, et envoya le cliché au maréchal Pétain.
                    Sa croix de guerre et sa médaille militaire sont bien visibles. 
                    Sa fille porte l'étoile. Le petit garçon, qui n'a pas encore six ans, ne la porte pas encore. 
                    La réponse adressée le 23 juillet 1942, tient en sept lignes, formule de politesse comprise : « les autorités occupantes s'opposent à toute mesure de faveur ».
                    Finalement, Ita Faynzylberg sera déportée à Auschwitz par le convoi n° 34, le 18 septembre 1942. 

                    Victor, arrêté chez lui, refusera d'obtempérer et se défendra à coups de béquilles.
                    La police l'emportera ligoté sur une civière, et il sera du convoi n° 68, du 10 février 1944. 

                    (74) AD 41 lettres n° 51096 et 51094 du Ministère de l’intérieur au préfet du Loir-et-Cher
                    (75) CDJC XLIXa-51b
                    (76) CDJC-XXXII-149/150 Lettre du 17 décembre 1942 de l'Archimandrite Serge Fefferman(77) CDJC CXV-52 lettre du 25 juin 1942
                    (78) CDJC XLIXa-89 lettre du 15 juin 1942 de Karl Oberg
                    (79) CDJC-CCXXXVIII-117_001RE

                    Le risque de ne pas porter l'étoile...

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                    Contre l'étoile discriminatoire, des Juifs choisiront aussi de ne pas la porter, au risque de se faire dénoncer, arrêter et déporter.

                    Robert Debré (dr)
                    L'éminent Pr Robert Debré (1882-1978) n'hésita pas. 

                    Lui qui menait par ailleurs des actions de résistance, sera interrogé par la police en 1943 pour « s’être présenté à plusieurs reprises dans les bureaux allemands sans porter l'étoile ».
                    Par décret du 5 janvier 1941, il avait été relevé de toutes les interdictions du statut des Juifs car il soignait des enfants d'officiers allemands, respectant ainsi le serment d'Hippocrate. 
                    « Quoique prétextant que les autorités occupantes ne le considèrent pas comme Juif, le Pr Debré n'en est pas moins recensé à la préfecture de police et ne possède aucune dispense de l'étoile ». (80)
                    Dans ses mémoires, le Pr Debré explique avoir rangé « le petit morceau d'étoffe dans un tiroir ».
                    « J’étais convaincu, comme plusieurs d'entre nous, que cette désobéissance n'augmenterait guère les risques car nous fûmes assez nombreux à prendre cette attitude. Sans nous être entendus, agirent de même les deux autres membres de ma famille astreints à cette obligation et alors présents à Paris : le
                    Pr Jacques Hagueneau, mon cousin, qui échappa de justesse un peu plus tard à la Gestapo, et un autre cousin, Paul Dennery, qui fut arrêté place de la Madeleine, et dont on n'eut plus jamais de nouvelles ». 

                    Déporté de Drancy par le convoi n° 59, il est mort à Auschwitz le 2 septembre 1943. (81)

                    Serge Klarsfeld, dans " La Shoah en France " tome 2, évoque Tamara Isserlis, 24 ans, étudiante en médecine qui travaillait avec le Pr Debré. 
                    Elle sera arrêtée pour avoir porté le drapeau français sous l'étoile jaune, et déportée par le convoi n° 3 du 22 juin 1942, le premier à compter des femmes. 
                    Egalement, le Dr René Bloch, frère de l'avionneur Marcel Dassault, chirurgien à l'hôpital des enfants malades, s'était confectionné une étoile géante et l'avait arborée sur son uniforme de lieutenant colonel sur les Champs Elysées le 6 juin 1942.
                    Le 9 juin, alors qu'il opérait, il sera arrêté et déporté le 22 juin. 

                    Il partira de Drancy pour Auschwitz par le convoi n° 3. (82)

                    De multiples arrestations pour défaut d’étoile se termineront par des déportations.
                    Armand Abraham Reis, né le 13 mars 1878 à Mutzig (Bas-Rhin), écrira le 18 août 1942 au maréchal Pétain en évoquant sa « culpabilité » :
                    « Comme juif, je suis interné dans le camp de La Lande, par Monts (Indre-et-Loire), pour avoir voulu franchir la ligne de démarcation, sans être porteur de l'insigne, et sans autorisation de déplacement, je mérite en effet une peine disciplinaire pour infraction à l'ordonnance allemande en vigueur ».
                    Il dit attendre l'intervention du chef de l'Etat pour « adoucir ou écourter (sa) peine » et invoque ses états de service, rappelant qu'il a « eu le très grand honneur » de servir en qualité de chauffeur dans l'état-major particulier du maréchal pendant plus de deux ans jusqu'à sa démobilisation en février 1919, à Mayence.
                    Il rappelle les actions de plusieurs membres de sa famille, comme son frère, ingénieur et officier d'artillerie, chevalier de la Légion d'honneur, décédé suite à une maladie contractée sur le front.
                    Egalement, de son beau-père, médecin-chef pendant la guerre, et sa soeur, infirmière-major, sans oublier son épouse qui « partage mon malheureux sort ».
                    Interné à Drancy, il sera déporté à Auschwitz, par le convoi n° 48, du 13 février 1943 où il sera exterminé le 18 février. (83)


                    Elisabeth de Fontenay, philosophe, maître de conférences émérite à la Sorbonne, née en 1934, a présidé la Commission Enseignement de la Shoah de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. 
                    Toute la famille de sa mère (née Hornstein) est morte à Auschwitz : « La mère de ma mère, la soeur de ma mère et son mari, ainsi que leurs deux enfants qui avaient le même âge que moi et mon frère, Micheline et Daniel Feinstein, 11 ans et 9 ans. Nous passions nos vacances ensemble, on jouait aux gendarmes et aux voleurs. Ils ont été déportés en mars 1944. Dénoncés, probablement par des voisins. Aucun d’entre eux n’avait jamais porté l’étoile jaune ». (84)


                    Louise Jacobson, une lycéenne de 17 ans, dénoncée pour ne pas avoir porté l’étoile, sera arrêtée chez elle, rue des Boulets (11e), par la police française. Incarcérée à Fresnes le 1er septembre 1942... Drancy, Beaune-la- Rolande, elle sera déportée par le convoi n° 48 du 13 février 1943 et mourra gazée à son arrivée à Auschwitz. Elle a laissé six mois de lettres émouvantes écrites pendant sa captivité, publiées par sa soeur. (85)


                    Léna Frenkel, 17 ans, arrêtée le 12 septembre 1942 à Evreux, pour ne pas avoir porté d’étoile, sera condamnée à
                    dix semaines de prison. Début décembre, sa mère, Ernestine Frenkel, restait sans nouvelles. Le 9 décembre, elle écrit une lettre poignante à la maréchale Pétain.
                    « Laissez moi espérer que tout n’est pas encore perdu, que je verrai ma petite bientôt pour me consoler pendant l’attente de la libération de mon mari (Ndlr : prisonnier de guerre). Elle adressera aussi un courrier au service diplomatique des prisonniers de guerre qui fera suivre sa demande de libération de sa fille au Commissariat général aux questions juives. Le 29 janvier 1943, il est répondu que « dans les circonstances actuelles, il ne peut être donné une suite favorable à la requête de Mme Frenkel ». (86)


                    Parmi les agents zélés de la SEC, l’inspecteur Robert Douillet appliquera strictement les ordonnances allemandes. 
                    Le 8 décembre 1942, il interpelle Albert Morhaim dans le métro. Ce jeune garçon de 18 ans ne porte pas d’étoile. Il le brutalise et se rend à son domicile, à Champigny-sur-Marne, où il arrête ses parents, son frère Roger et sa soeur Rachel. Ils seront tous déportés par le convoi n° 47 du 11 décembre 1943. (87)

                    Le 26 octobre 1943, Douillet arrête Simone Lackenbacher, 32 ans, employée dans une pharmacie, rue des Batignolles (19e). Son rapport précise avoir « trouvé la Juive à la caisse sans étoile ». Il lui demande de le suivre et... « cette juive a tenté de prendre la fuite, mais a été appréhendée à nouveau ».
                    Elle sera déportée par le convoi n° 62 du 20 novembre 1943. (88)


                    L’inspecteur Douillet sera condamné en août 1949, par la Cour de justice de Paris à 15 ans de travaux forcés.


                    Nicole Barry de Longchamp ne portait pas non plus son étoile.
                    Arrêtée à Paris alors qu’elle vient consulter un spécialiste pour soigner une tuberculose, son mari est l’oncle de la femme de Jean Leguay (1909-1989), délégué en zone occupée de René Bousquet, secrétaire général à la Police nationale. (Ndlr : en 1979, il sera inculpé de crimes contre l’humanité pour son rôle dans l’organisation de la rafle du Vel d’Hiv mais il meurt avant son procès).

                    Leguay fera appel à Röthke, le chef du « service juif « de la SS, pour plaider la cause de sa parente. 
                    Dans une note du 11 juin 1943, Röthke rapporte la visite effectuée la veille par Leguay : « Il n’est jusqu’ici jamais intervenu pour des Juifs, il ne veut et ne peur non plus le faire à l’avenir. Barry de Longchamp, l’oncle de la femme de Leguay, est marié en secondes noces à une Juive (...) Son mari réclame l’intervention de Leguay qui refuse d’agir en sa qualité de chef de la police ». 
                    Röthke transmettra à Helmut Knochen, le chef de la Sûreté, pour donner des instructions « si et quand la Juive, devra, le cas échéant être libérée ». (89)

                    Des avocats et des avoués du Palais de justice de Paris choisiront aussi de ne pas porter l'étoile sur leurs robes.
                    Le 15 juillet 1942, Röthke s’adresse au CGQJ : « A plusieurs reprises, notre attention a été attirée sur le fait que des notaires, avocats et avoués juifs, ne portaient pas l’étoile juive ni au Palais de justice, ni devant les autres tribunaux. Je vous demande de faire vérifier l’exactitude de ces informations et de me signaler les cas d’infractions, avec l’adresse des intervenants. » (90)

                    Le bâtonnier Jacques Charpentier profita des vacances judiciaires de juillet à octobre 1942 pour ne pas répondre à la demande du chef du service juif de la SS.
                    Richard Weinberg, dans « Vichy, la Justice et les Juifs » (Editions Archives contemporaines, 2006, p.92) considère cette attitude comme « un souci d’indépendance » du barreau qui refusa de prêter serment à Pétain.


                    Le poète Max Jacob (1876-1944) ne porta pas non plus l'étoile.

                    Max Jacob (dr)
                    Né juif, converti à 40 ans, il s'était réfugié à l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire (Loiret) où il vivait depuis 1936.
                    « Deux gendarmes sont venus enquêter sur mon sujet (Ndlr : le 12 juillet 1942), ou plutôt au sujet de mon étoile jaune. Plusieurs personnes ont eu la charité de me prévenir de cette arrivée soldatesque et j'ai revêtu les insignes nécessaires » écrit-il dans une lettre. (91)
                    Le 24 février 1944, après qu'il ait assisté à la messe du matin à Saint-Benoît, il est arrêté à 11 h à son domicile par trois membres de la Gestapo d’Orléans. 

                    Après quatre jours à la prison militaire d'Orléans, dans des conditions sordides, il est envoyé à Drancy le 28 février. 
                    En dépit de la mobilisation de ses amis pour le faire libérer (notamment Jean Cocteau, Sacha Guitry, Marcel Jouhandeau, André Salmon, Charles Trenet, Conrad Moricand), il meurt épuisé par une pneumonie à l'infirmerie du camp, dans la nuit du 5 au 6 mars 1944. Sous le matricule n° 15 872 il devait faire partie du convoi n° 69 pour Auschwitz, prévu le 7 mars. 
                    Sur les 1.501 juifs déportés (dont 178 enfants), on ne comptera que 34 survivants en 1945.
                    Max Jacob sera inhumé dans la fosse commune du cimetière d'Ivry, et sa dépouille sera transférée au cimetière de Saint-Benoît en mars 1949. 

                    Il sera déclaré « mort pour la France ».

                    Les limites du droit antisémite

                    Selma Mazaud, 49 ans, est arrêtée le 24 juillet 1942, pour infraction à la 8e ordonnance. Une demande de libération est lancée par la Direction des Etrangers et des affaires juives de la préfecture de police, le 15 décembre, au seul motif qu'elle n'avait pas été déclarée par son mari en 1941. Or, « la déclaration de la femme mariée incombait au mari, et que la délivrance de l'insigne juif étant subordonné à cette déclaration il n'y avait pas lieu d'interner la femme pour défaut de cet insigne ». Selma Mazaud sera effectivement libérée du camp de Drancy le 15 janvier 1943 contre l'avis de la Sipo-SD. (92)

                    (80) CDJC CXCIV-92_002 Lettre du 16 juillet 1942 à Louis Parquier de Pellepoix, Commissaire général aux questions juives
                    (81) Robert Debré : : " L’honneur de vivre " (Stock – Hermann, 1974)
                    (82) Serge Klarsfeld : « La Shoah en France » tome 2 (Fayard, 2001) p. 393-394
                    (83) Archives départementales d’Indre-et-Loire : 120 W 35 Lettre au Maréchal Pétain du 18 août 1942
                    (84) Interview d’Elisabeth de Fontenay dans L’Obs du 16 juillet 2008
                    (85) Nadia Kaluski-Jacobson : les lettres de Louise Jacobson et de ses proches 1942-1943, Laffont, 1997
                    (86) CDJC LXI-103b Lettre du 6 décembre 1942 d’Ernestine Frenkel à la Maréchale Pétain et du service diplomatique des prisonniers de guerre du 20 janvier 1943 au Commissaire Générale aux Questions Juives. Le 29 janvier, le CGQJ répond « qu’il ne peut être donné une suite favorable à la requête de Mme Frenkel » (87) Laurent Joly : « Vichy dans la Solution Finale - Histoire du CGQJ - (Grasset, 2006), p. 622-643
                    (88) AN-AJ 38-6
                    (89) CDJC XXVII-13, cité par Serge Klarsfeld : « Vichy-Auschwitz 1943 »(Fayard, 1983) p. 285-286
                    (90) CDJC-XXIII-6, ordre du 15 juillet 1942
                    (91) Bibliographie des poèmes de Max Jacob - Université de Saint-Etienne, 1992, par Maria Green, et Christine Van Rogger Andreucci, Centre de recherches Max Jacob
                    (92) CDJC XXVa-161a
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